Je tiens les éditions Bragelonne-Milady pour une entreprise qui a réussi dès 2000, grâce à quelque opportunisme mêlé d'un certain goût littéraire, une percée relativement méritée dans le monde devenu peu à peu si médiocre et commercial de « l'Imaginaire ». Je n'ai pourtant pas suivi précisément leur avancée, et, n'ayant guère acquis de leurs livres, peut-être suis-je encore trop laudateur ; mais j'ai déjà constaté que nombre de références, des Howard et des Lovecraft notamment, ne sont longtemps restées rééditées en français que chez eux ; or, si c'est certes un moindre risque de se procurer gratuitement des ouvrages dont les droits ont expiré, ce n'est tout de même pas rien de savoir les choisir, et il y a fort à parier que les créateurs de cette maison ont, à une époque au moins, su quelque chose de la littérature du genre qui est leur spécialité initiale, je parle ici de la Fantasy, du fantastique et de la science-fiction.
On pourrait croire en effet qu'il est aisé de sélectionner, dans un répertoire de références nombreuses et parmi une liste énorme d'auteurs défunts, les livres gratuits les plus éloquents, ceux dont la qualité indéniable servirait, pour ainsi dire, de devanture et de support aux autres récents, de « vitrine » à des contemporanéités plus polémiques : il n'y suffirait que d'une solide expertise et d'assez d'érudition, et l'on obtiendrait la recette d'un travail consciencieux qui, s'il devait aller malgré tout à la ruine, serait quand même à vanter le temps de son existence pour sa justesse et son sérieux. Néanmoins, au-delà d'une telle compétence, déjà rare, à la sélection, on ignore les pressions diverses que doit continuellement supporter un éditeur prétendant au succès sinon à la survie, et la tentation lui est grande sans doute d'accompagner ses projets des traditionnelles concessions faites aux amis qui réclament la publication et aux foules stupides qui raffolent des imbécillités à la mode. Je n'ose pas encore prétendre que Bragelonne ne fait pas du tout dans la sauce mièvre et racoleuse – certaines de ses collections récentes, notamment, allant chercher du côté du public de la Fanfiction, amorcent déjà quelque dégénérescence plus ou moins inévitable –, mais je dois admettre que le triomphe de cette maison ne me paraît pas entièrement immérité, quoique en réalité je doute qu'elle parvienne longtemps à se maintenir à un niveau de qualité satisfaisant, attendu qu'il n'existe plus de « canal » par lequel un éditeur puisse (ou consente à) aller à la rencontre des jeunes auteurs soignés, talentueux et transgressifs comme il est si nécessaire d'en trouver pour soutenir de tels genres littéraires.
N'importe : si j'adjoins à ces premiers bons choix la bonne facture des livres en tant qu'objets, le soin apporté à ses illustrations (en l'occurrence par Miguel Coimbra), ainsi que le choix de Patrice Louinet comme traducteur fidèle et rédacteur d'un dossier solide sans conteste, informatif et nullement pédant, la recette est complète, il n'y a rien à redire. Reste, bien entendu, le contenu littéraire lui-même à critiquer, ce dont je me porte volontaire, étant toujours votre serviteur.
Howard, il faut l'annoncer d'emblée, n'est pas un grand écrivain fantastique. C'est, à mon sens, un auteur qui s'est longtemps cherché une voie, assoiffé d'un projet à la mesure de ce qu'il sentait poindre en lui de volonté et de grandeur potentielle, et qui, précipité par une certaine urgence financière, n'est pour l'essentiel parvenu à produire dans ce genre que des nouvelles aussi faciles à vendre aux magazines qu'à oublier peu de temps après les avoir lues, sous réserve de connaître déjà autre chose. Je sais bien que ce que je dis n'est guère aimable, et l'on n'ignore pas combien je suis exigeant s'agissant d'un genre où je n'ai pas contentement à des demi-frissons : il me faut de la terreur pure et vertigineuse, sans ingrédients attendus ; or, je ne crois pas exagérer beaucoup en affirmant que presque toutes les idées de Howard sont à chercher du côté d'un certain H. P. Lovecraft, quoique organisées avec moins de finesse et de développement.
Lovecraft – j'ai parlé de lui ailleurs – était l'auteur des malaises vraisemblables et aux longs crescendos par lesquels le lecteur se sentait irrésistiblement angoissé, envoûté et comme pris au piège de monstruosités rendues plausibles, insidieusement, et prenant réalité dans notre passé comme dans notre avenir : chez cet auteur, la progression valait autant que l'idée, il y fallait le recours minutieux de tout ce qui était susceptible de produire l'immersion insinuante et affolante : le style d'abord en un mélange byzantin de précisions infimes et d'élégances intempestives, l'atmosphère ensuite en des contextes conciliant la modernité sans déni et des personnages et décors fascinatoires, et l'intrigue enfin en des compositions claires et anticipées propres à réaliser la chute effroyable. Mais Lovecraft n'avait jamais rien concédé à l'argent, et Howard, sans doute, vivait dans quelque autre besoin et avec des aspirations plus modernes : ce dernier n'avait pas de ces patiences qu'on reconnaît dans toutes les peintures littéraires de son maître, et comme il n'était pas exactement un homme d'idées lumineuses pour lesquelles il aurait eu besoin de temps, il se contentait souvent de copier des univers sans proposition de chutes, et Lovecraft lui en proposait qu'il admirait particulièrement et auxquels il ne se sentait aucune raison de renoncer. En cela, je trouve que M. Louinet surestime ici un peu la force de l'auteur qu'il commente – bien qu'il ne s'empêche pas d'affirmer à l'occasion la pauvreté de certains textes du recueil, mais c'est sans doute aussi une nécessité de ne pas dénigrer à l'excès le choix d'un éditeur au sein même du livre que celui-ci a sélectionné. Je lui remarquerai deux choses, en sus de ses remarques intéressantes et documentées : premièrement, que le récit intitulé « L'Horreur dans le Tertre » daté de 1931 et qu'il estime l'un des plus originaux du recueil est encore largement le pastiche d'un Lovecraft publié en 1929 sous le titre « The Mound » (« Le Tertre » en français), nouvelle excellente qui, souvent, échappe encore aux attentions des amateurs du natif de Providence parce que celui-ci eut la gentillesse d'en faire don à Zealia Bishop qui la publia sous son propre nom – le contexte y est similaire, et surtout le creusement du tertre s'opère dans des conditions d'angoisse très semblables, au point que je me suis demandé un long moment si Howard n'allait pas tout bonnement réécrire en entier la nouvelle de Lovecraft ; secondement, que la littérature de Howard est aussi fort imprégnée, à ce qu'il me semble, de références à Poe, notamment dans la constitution de personnages enquêteurs comme le Dupin du « Double assassinat dans la rue Morgue », quoique dans un jus infiniment moins fort et détaillé, prouvant ainsi sa difficulté à donner vite naissance à de véritables entités personnelles et uniques, sans parler de certains incipit dialogués où – mais c'est un soupçon – on retrouve la trace de structures et de thèmes assez proches, par exemple, au commencement de « La Barrique d'Amontillado ».
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Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)
No FicciónDes critiques de ce que je lis, écrites peu après avoir lu.