Le théâtre de Kālidāsa (inachevé)

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Je ne sais sous quel angle ou par quel biais on a pu inscrire cet ouvrage au programme d'agrégation de Lettres modernes. Je n'ignore pas qu'il existe dans toute faculté des cours de littérature comparée où l'on met en regard des textes issus de langues et de cultures différentes, mais pour les concours nationaux, j'avais trop naïvement supposé qu'on se contentait d'œuvres françaises, pour autant qu'on eût admis la littérature de notre pays suffisamment riche même de trésors méconnus pour n'en pas manquer à proposer longtemps à la curiosité des candidats (il y a aussi cette année une pièce de Shakespeare au programme). Mais qu'une œuvre indienne, traduite du sanskrit et du prākrit, datée d'entre le Ier siècle avant Jésus-Christ et le Ve de notre ère, ait trouvé sa place parmi des épreuves relatives à la littérature moderne, c'est ce qui relève pour moi d'un prodige d'absurdité qu'on doit imputer sans doute à divers arrangements entre ministères, professeurs et éditeurs, de manière à écouler un titre qui, autrement, n'aurait aucune chance de se vendre. Cette fois, c'est « Gallimard » qui profite, et l'on est satisfait qu'un éditeur si confidentiel tire profit de la publicité publique pour se faire connaître : il faut bien soutenir les maisons peu rentables, ou comment se développeraient les petits acteurs du livre ?! Ah ! le bon procédé quand des hommes désintéressés unissent leurs efforts pour mettre la littérature « de niche » à la portée du grand nombre !

La préface de cette édition consiste en un épanchement vétilleux sur ce que, je crois, nul lecteur profane n'a intérêt à savoir : 80 pages d'expert, impatientantes et immédiatement rudes et techniques, sont, quant à la généalogie de l'œuvre et à son contexte, inintéressantes à un point qui relève presque de la gageure tant je suis en général curieux et disposé à découvrir l'origine, et, pour l'analyse, elles consistent en un relevé thématique des plus ordinaires dont le manque d'inspiration et de révélation est d'un ennui presque fatidique, d'une facture académique et d'un ton trop conventionnel. Il était difficile de faire plus importun et plus monotone tandis que, je crois, presque personne ne sait de quoi retourne le « théâtre de Kālidāsa ». Il faut compter, pour s'enfoncer avec austérité en ces morceaux didactiques, sur la patience de candidats de concours, forcés de se renseigner sur les œuvres avec une application confinant à l'indigestion cognitive, à l'absence totale de goût, à l'annihilation complète de la faculté de juger, et à l'indifférenciation complète des critères de ce qui mérite ou non l'attention, du moins de la hiérarchie logique des centres d'intérêts. C'est où je me demande décidément si l'épreuve la plus rude pour l'Agrégatif ne consiste pas en le déchiffrement appliqué de ce qui n'est pas littéraire et qui présente des risques importants de déformer son esprit relativement à l'appréciation de la qualité littéraire même : une sorte de lavage de cerveau pernicieux résulte probablement de l'indistinction des lectures selon laquelle « il faut lire, consulter et apprendre parce que c'est censé comporter du fond, étant inscrit au programme par des professeurs dits émérites ». Pour moi qui ne suis pas assigné à ce devoir, je me suis contenté de feuilleter cette étude : je ne sais toujours pas – c'est sans doute ma faute, ayant lu avec distraction – ce que c'est que Kālidāsa et son théâtre, il m'a seulement paru que c'était un auteur réputé ou légendaire de l'Inde antique. Mais j'ai compris que nombre de savants (cités abondamment en références, preuve que le préfacier est un savant en bonne et due forme) se sont penchés sur l'œuvre et s'accordent à dire que tout ceci est délicat et compliqué. J'ai retenu comme vraiment il fallait d'acharnement pour savoir à quel point tout ceci était délicat et compliqué. L'Agrégatif, je suppose, aimerait un jour appartenir à la catégorie de gens admirables, doigt grattant leur tête et lunettes épaisses comme loupes, pour qui ce genre de considérations entretenues, délicates et compliquées, prouvent qu'ils ont atteint un point de respectabilité très vénérable. Je les envie presque autant que je les moque, eux si ambitieux et pourtant si piètres, d'avoir la simplicité presque innocente de nourrir le souhait de réfléchir un jour de manière si délicate et compliquée.

Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant