Il me paraît indispensable, pour le critique littéraire qui tiendrait à ne pas s'enferrer par principe dans une position rétrograde et qui admettrait ne serait-ce qu'en théorie la possibilité de l'existence de bons écrivains contemporains, de ne pas cesser de chercher ces derniers dans certaines revues sélectives reflétant le niveau réel d'une littérature alternative aux GaFlam du livre c'est-à-dire enfin d'une vraie littérature d'artistes. Je comprends évidemment qu'un lecteur esthète et philologue s'ennuie des médiocrités apparemment inlassables que proposent à l'envi les maisons d'éditions historiques, qu'il désespère des nouveautés ineptes que son époque livre sans égard pour l'esprit et la grandeur, et qu'il juge infiniment plus sûr pour son plaisir et son intérêt de quêter ses lectures dans les références assez rares de temps plus anciens où le livre ne constituait pas uniquement un divertissement de foule et un commerce de troupeau : il aura, en effet, bien moins de risques d'être déçu en tirant ses ouvrages de courants et d'hommes qu'il connaît, qu'il a éprouvés, ou dont la proximité avec d'autres qu'il a aimés lui donnent beaucoup plus de chances d'être satisfait. Cependant, je trouve à ce critique raffiné une contradiction à déplorer perpétuellement l'art présent sans y quérir des exceptions qu'il pourrait encore louer, notamment s'il a une idée de l'endroit facile où il pourrait les trouver : c'est alors un travail incomplet et en cela relativement malhonnête de ne feuilleter que les succès de son époque qui sont nullités infâmes et insultes à l'humanité, tandis qu'il négligerait peut-être des ressorts plus dignes que justement ne réclame aucun des acteurs principaux du livre moderne qu'il conspue, parce que ces acteurs les estiment trop sérieux et trop durs pour pouvoir être lus en nombre et vendus avec rentabilité.
Or, les revues et les magazines constituent indéniablement le moyen de mesurer l'état de la littérature contemporaine en quelque sorte « clandestine » et de repérer – et récupérer – ce qui déplaît tant à des Gallimard pour ne jamais les admettre en leurs collections. En particulier, je tiens le genre de la nouvelle pour révélateur d'une capacité de composition et de style, car sa densité implique l'efficacité d'une intrigue et la proportion des effets. Dans son principe et sa forme généalogiques, la nouvelle se présente comme une pièce exactement ciselée, où aucun mot, nulle phrase, n'est inutile sans gêner l'homogénéité et la performance, et dont la chute, qui doit servir à justifier le récit entier, se réalise comme une révélation originale et puissante pour subjuguer le lecteur entre l'émotion réflexive et l'admiration pour l'auteur. Toute nouvelle, bien sûr, ne parvient pas à un tel résultat, y compris des nouvelles globalement réussies, mais c'est à ce résultat que chacune doit tendre, et c'est d'autant plus tentable, surtout pour des écrivains amateurs, que la brièveté du format permet qu'on ne s'y trouve pas longuement engagé comme pour un roman et qu'on n'y néglige rien. Il s'agit d'une épreuve, je pense, où le critique discerne aisément les plumes les plus affutées et les intelligences les plus fines. C'est pourquoi j'estime qu'une société éprise sincèrement de littérature en prose et disposée à juger et à plébisciter devrait en toute logique procéder à ses sélections grâce à des recueils de nouvelles. Or, je ne sache pas – mais un peu a priori – qu'une multitude de revues proposent ces services et surtout soient si consultées qu'on se les arrache à gros tirage en tant que seuils d'intérêts réciproques, pour que d'une part le lecteur accède aux écrivains superbes qu'il tiendrait à extraire pour sa réjouissance de leur injuste obscurité, et pour que d'autre part l'écrivain esseulé fît par cet accès son entrée triomphale au rang des promesses artistiques de son pays et de son temps. L'absence ou la disparition de ce processus confirme un siècle qui se désintéresse du renouveau des arts, et incurieux ou infondé à examiner vers l'avenir la direction de ses créateurs. Il faut donc bien convenir que, puisque ces magazines ne concernent à peu près personne et pas même la critique que sa spécialité concernerait logiquement à ces inspections, notre société ne conserve aucun soin de littérature, qu'elle se satisfait des distinctions que des marchands vénaux font à sa place, et qu'elle a toute autre chose en tête que de se soucier que les auteurs qu'ils lui soumettent sont ou non les meilleurs qu'elle aurait remarqués.
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Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)
NonfiksiDes critiques de ce que je lis, écrites peu après avoir lu.