Journal d'un clone et autres nouvelles du progrès, anthologie

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Encore un livre « pédagogique » offert par Hatier aux enseignants du secondaire. Je me répète probablement : j'ignore si les professeurs s'en servent pour commander par séries, mais, dans une société capitaliste où l'on n'offre jamais rien pour rien, on doit admettre qu'un éditeur est un commerçant et supposer qu'il trouve certainement à gagner en contrepartie de ses présents.

Je crois avoir dit ailleurs que je ne me sers jamais de ces spécimens pour demander un achat groupé au CDI ou individuel aux élèves (je travaille même sans manuel depuis toujours) : les livres des éditeurs-pour-l'Éducation sont presque toujours laids et pas si bon marché qu'on croit (ici, payer 4,30 € pour seulement six nouvelles) ; au surplus, on y trouve souvent des questionnaires et exercices inutiles rédigés par des gens qui n'y connaissent rien, n'entendant qu'à peine les programmes scolaires et ignorant à peu près à qui ils s'adressent, élèves comme enseignants – toutes choses qui suffiraient à gâcher même un bon et bel ouvrage.

Je les lis cependant presque toujours, de façon que – on ne sait jamais – je ne passe pas par exception à côté de quelque chose de bien.

Ce recueil réunit donc six récits d'auteurs contemporains plus ou moins spécialisés dans la science-fiction, avec dans l'ordre : Gudule, Fabrice Colin, Éric Simard, Pierre Bordage, Christian Grenier et Colette Jacques Veaux. Ce genre, selon moi, ne tolère pas la médiocrité, et on a eu tort d'en faire une poubelle pour adolescents où ranger tout auteur dont l'imagination délirante l'empêche de retenir sa logorrhée d'invraisemblances : on a ainsi abîmé, par beaucoup trop d'indulgence, un genre qui convenait à des esprits rigoureux et visionnaires, et on l'a réduit au foutoir déclassé des mauvais pulps et de la marchandise. Je crois en savoir quelque chose, étant notamment un grand admirateur de Isaac Asimov, et je n'oserais pas, si je ne le connaissais point, dire autant de mal de ce qu'est devenu ce genre avec ses deux compagnons de route et d'infortune, la fantasy et la dystopie, sans au moins le recours à quelque modalisation mondaine et de bon aloi.

N'importe : j'ai lu avec consternation les trois premières nouvelles de ce recueil qui, sinon sont absolument nulles, du moins relèvent d'un manque d'ambition intellectuelle et stylistique évident. La palme du récit le plus atterrant, le moins stimulant, le plus bâclé, revient à M. Simard, que j'ignorais auparavant à juste titre, et qui nous livre ici un texte moins littéraire, notamment en termes de détails et d'idées, que le travail d'un élève de cinquième appliqué – je prouverai bientôt cette assertion en présentant un court roman réalisé par des adolescents de ce niveau : il se contente d'agglutiner sans préparation ni minutie des scènes expédiées et presque hallucinantes tant leur manque d'ambition et de crédibilité relève d'un enfant sans expérience. Le texte de Gudule, quant à lui, est un emprunt caractérisé à un ou plusieurs récits bien mieux écrits de Richard Matheson, et celui de Colin ne vaut que pour son idée-titre n'apparaissant qu'en trois lignes vers la fin et pas du tout développé : les trois, comme il ne se devrait pas pour des nouvelles de qualité, ne comportent pas de chute, facilité déconcertante et importune.

Les trois ont toutes pour défaut, élémentaire dans la science-fiction et particulier autant qu'un vice notoire, de résumer longuement la base théorique du monde où a lieu l'intrigue au moyen d'explications déconnectées de la situation initiale, au lieu de nous la montrer par quelques habiles descriptions ou naturellement au sein des dialogues et des actions, ce qui réclame infiniment plus de patience et de soin. Vous avez là, d'emblée plaqué en travers de la gueule, un condensé des quelques paradigmes qu'il faut retenir pour savoir où l'on se trouve, et sitôt ce gros morceau obligatoire débarrassé comme un pensum, vous poursuivez sans plus d'appétit des aventures assez grotesques et si peu logiques eu égard au sens de notre civilisation et à son éthique qu'on n'y discerne pas la moindre trace d'anticipation véridique. Vraiment, il n'est pas donné à tout le monde d'être un prophète, mais un tant soit peu visionnaire ! Il y faudrait du moins un peu de réflexion préalable...

Tous sont extraits d'un même recueil qu'il faut surtout ne pas acheter, intitulé les Visages de l'humain où, et c'est le pire, ces récits ont certainement été jugés les meilleurs, paru aux éditions Mango (qu'on doit, si vous êtes comme moi, absolument continuer de ne pas connaître). Et ce n'est sans doute pas un hasard si les trois sont également piètres : des écrits de commande très probablement, de purs alimentaires ordonnés à des écrivains populaires ; j'ai supposé par ailleurs, mais peut-être avec un peu de présomption, que Mango est une filiale de Hatier (je ne puis vérifier dans l'instant, la dernière version de Windows en cours d'installation me faisant boguer toute tentative d'accès à Internet, la perpétuelle saloperie !), raison pour laquelle il coûte moins cher à l'éditeur de recycler ces auteurs sous contrat que d'en embaucher d'autres et des meilleurs. Après tout, un élève ne verra peut-être pas la différence entre un bon et un mauvais texte, et si Hatier connaît rien qu'un peu les professeurs à qui il s'adresse, il devine que, bien souvent, ces derniers lisent encore moins que ces premiers et ne font pas davantage la distinction.

Les trois autres nouvelles, heureusement, rattrapent un peu ce mauvais départ, mais c'est toujours avec très peu de style et rien qui mérite d'être appelé, même de loin, art et labeur. J'ai pourtant bien conscience, croyez-moi, que des collégiens sont peu sensibles à la question du style, et je ne me fais pas du tout un devoir d'aborder cette question, futile à leurs yeux, durant mes cours ; mais un récit bien écrit traduit toujours quelque chose de la pensée méthodique qui l'a conçue, sans même aller chercher des chinoiseries difficiles comme des figures – ni King, ni Matheson, ni Asimov ne passent pour des auteurs inaccessibles, et leurs écrits (au moins pour King ceux d'avant 2000) sont malgré tout ciselés avec un art de l'efficacité qui valorise les idées qu'ils proposent. En l'occurrence, ces trois intrigues sont plus inspirées et élaborées, comportant notamment une chute pour deux d'entre elles. Ces deux-ci justement explorent le thème de l'éducation du futur, et la dernière celui de l'espérance de vie dans un avenir en proie au risque de surpopulation. Évidemment, même les chutes ne sont pas épatantes, mais on passe une heure à les lire sans trop d'importunité. De pareils récits sont, à la limite, des tremplins à réflexions, mais qui n'en comportent guère par eux-mêmes, et ce n'est pas du tout à cause de leur forme courte. Le problème, c'est que notre époque contient nombre de gens qui écrivent à toute vitesse pour faire de l'argent entre deux campagnes de promotion, et il ne se peut pas que de pareils ouvriers disposent d'assez de temps et de concentration pour réaliser, plus que des essais brouillons, ce qu'on appellerait enfin des « œuvres ».


À suivre : Feuilles d'herbe, Whitman.


P.-S. : Pour une fois je ne citerai pas d'extraits de ce livre, attendu qu'au cours de ma lecture je n'en ai notifié qu'un seul de bon dans le texte de Bordage, et que j'aime à sélectionner entre plusieurs, lorsque j'ai au moins la satisfaction d'en distinguer deux.

Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant