D'une exceptionnelle énergie pragmatique, voilà ce qu'il faut dire de...
– J'oubliais : je n'ai presque aucun égard pour les précautions banales qu'on voudrait que j'exprimasse en exergue, à la manière de l'obligatoire avertissement de 1979 que je n'ai pas lu, le danger supposé d'un ouvrage valant moins, à ce que je crois, que le péril de l'influence qu'on préfèrerait exercer sur les opinions avant lecture ; je me moque pareillement que Hitler fut un diable ou un saint, je ne juge point une œuvre littéraire aux actes de celui qui l'a rédigée, ces préventions sont spécialement inutiles et même pernicieuses quand il s'agit d'apporter une opinion sur la qualité d'un écrit, et n'ayant pas la condescendance de supposer mon lecteur un tel enfant qu'il honorerait par principe tout auteur qu'il rencontre et que j'expose, je le prie instamment de ne pas m'importuner de moraline entendue et veule, et, s'il aspire premièrement à ce que j'indique des réserves et des réticences, de passer hors d'ici –
... Mein Kampf, remarquable de psychologie collective et certainement de ce qui fait le succès bien terrestre d'un parti politique. C'est un travail de vigueur organisée, essai volontaire et tourné vers la puissance d'une concrétisation, et inscrit dans une mentalité de la méthode et de la performance au service d'un changement effectif : Hitler convertit le politique en actif, sa préoccupation exclusive est à réaliser, la doctrine, foin des péroraisons et du décoratif, ne sert à rien d'autre – c'est un homme qui sait lire, qui ne fait pas des mots de quoi valoriser l'intellect, qui met en œuvre ce qu'il sait ou croit savoir, pour qui toute pensée nécessite une application. D'extrême ambition pratique, il sut, l'un des rares, concilier vision et stratégie. Tout ce qui est réel et constatable est chez lui d'un jugement définitif et sûr ; tout ce qui requiert une abstraction est controuvé et manqué, quoique présenté avec un sophisme persuadé de certitude. Hitler est un homme décisif au présent ; pour lui, tout est état, il n'y a nul doute, tout s'exprime selon la logique du constat net et brut dont les nuances, importunes en tendant à entraver l'action, se négligent dès la résolution prise. Tout prend une forme scientifique et péremptoire, et, faute de discernement et d'analyse, ce qui n'est qu'hypothèse s'établit en conviction faussement étayée, faussement unanime, parce qu'il faut agir sur des faits sûrs. Partout où il suffit de regarder et de déduire brièvement, Hitler est exemplaire, tirant ses conclusions avec une célérité et une lucidité admirables ; partout où il convient plutôt de s'attarder sur des causes et de procéder à l'étude de ce qui ne se résout pas à l'observation directe, comme par exemple de chercher dans les civilisations l'origine des réalisations de haute vertu ou dans les particularités de la mentalité juive la progressive motivation d'une différence, il concède des mythes absurdes et simplistes posés en vérités indiscutées et fardés de critères positivistes, en l'occurrence l'Aryen supérieur et le complot parasite. Il faut toujours, chez Hitler, qu'un problème soit soluble immédiatement, c'est quelqu'un qui non seulement ne concède pas une hésitation, mais qui, probablement, ne dispose en esprit d'aucune faculté d'hésitation véritable, c'est-à-dire d'une hésitation dont l'incertitude dépasserait le cadre d'une délibération entre plusieurs alternatives concrètes. C'est un homme qui s'impose de résoudre tout de suite, et qui saute quelquefois sur les résolutions les plus ridicules, faute de se laisser le temps d'examiner le motif au cœur de la réalité apparente. Impatient, il ne cache pas, du reste, mépriser la délibération savante qu'il juge une preuve de faiblesse, ou les intellectuels qu'il juge vétilleux, et il croit le génie lui-même une spontanéité relevant de l'inné : préjugé du talent qu'il poursuit ainsi avec plus de commodité, se l'appliquant à lui-même, et qui doit frapper l'intelligence avec la soudaineté d'une illumination. Si l'on y regarde, chez Hitler, tout ce qui réclame une généalogie fait défaut : il comprend avec une acuité extraordinaire ce qui est et qui n'a besoin que d'être vu, mais il souffre d'un handicap surprenant s'agissant de ce qui requiert une étude compliquée – il veut masquer cette aperception, ou plutôt l'anéantir en reléguant son contraire en défaut ou en vice (« la profondeur est alambication »). Par exemple, on ne saura jamais, dans Mein Kampf, comment et pourquoi s'opère la bascule du Juif vers tant de négativité, aux alentours de la page 55 : on cherche des raisons, et on commence par trouver que Hitler reconnaît que le Juif se distingue beaucoup des Allemands (mais il notera ensuite qu'il méjuge l'Allemand lui-même, parce qu'on l'abuse si facilement), puis qu'il juge stupides le théâtre et les arts juifs (mais il ne parle presque jamais de théâtre et d'art estimables en-dehors des classiques), puis que les journaux qu'il déteste sont dirigés par des Juifs (mais il concède qu'il hait à peu près tous les journaux), puis que les Juifs sont partisans de la sociale démocratie qu'il réprouve (mais où voudrait-on qu'un Juif, que les nations ont tant accusés dans l'histoire, fût nationaliste ?), tout ceci avant de conspuer la dialectique du Juif dans l'extrait que je cite à la fin de cet article (mais il paraît feindre de ne pas s'apercevoir que le raisonnement de mauvaise foi, loin de s'appliquer au Juif en particulier, est symptomatique de tout un siècle, et même encore largement sensible à notre époque : voici donc une haine paradigmatique sans fondement sinon une somme de présomptions fondées, au pire sur l'attribution au seul Juif d'un ensemble de défauts qu'on trouve tout à fait répartis dans le peuple allemand, au mieux sur le constat d'une différence – car le Juif d'alors est bel et bien différent, différence qui est le fruit d'une histoire européenne qui n'a jamais cessé de le considérer comme race et comme bouc-émissaire. J'y reviens, si l'on veut – Hitler n'ayant besoin d'aucun démenti sur la question de l'Aryen qui est une croyance et une superstition, et dont les pages 232 et suivantes sont d'un ridicule et d'une grandiloquence si outrés, manifestes et presque comiques, qu'elles constituent quasiment une aberration au sein de l'essai s'il existait de telles anomalies au sein d'un esprit.
![](https://img.wattpad.com/cover/158178461-288-k866097.jpg)
VOUS LISEZ
Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)
NonfiksiDes critiques de ce que je lis, écrites peu après avoir lu.