Serge, Yasmina Reza, 2021 (inachevé)

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J'ignore comme on pourrait faire beaucoup moins ambitieux, moins élevé, moins artiste, que ce court roman. « Art » était pourtant une bonne pièce de théâtre : répliques justes, serrées, spirituelles ; intrigue finement nourrie, portant réflexions pertinentes et paradoxales, pourtant ni mondaines ni précieuses, sur l'art contemporain, les valeurs de l'art, et quelques autres sujets sur lesquels s'émancipait une parole inédite (« Je cherche un ami qui me préexiste. Qu'est-ce qu'un ami en-dehors de l'espoir que je place en lui ? ») C'était une œuvre délicate, volontaire, littéraire. Il se devinait en son écriture le souhait d'une postérité, du moins d'une mémoire. Il s'y trouvait de la dignité d'auteur. On était toujours parmi quelqu'un qui confectionnait.

Serge est du style plat, ordinaire, familiarité commune, sans effort patent, sans l'indice d'un travail dans l'intention d'un façonnage, dont on reconnaît la vulgaire majorité des succès contemporains que provoque inévitablement le goût du divertissement. Presque négation d'art, ce livre ne s'admet pas facilement ouvrage, destiné à l'accès des multitudes sans soin tenant à se savoir intelligence et curiosité qu'en Contemporain on appelle : « Culture ». Mais il faut que cet « esprit » ne s'accompagne d'aucune volonté particulière, d'aucune identité de recherche, d'aucune tentative d'au-delà : le contenu est si « à portée » qu'il est indéniable qu'on disposait déjà en soi du « trésor » dont il s'agit. C'est facile à lire, on ne lit ni pour la littérature, ni pour la puissance, ni pour l'artisanat ; si ça se présente pour roman, ce n'est pas un livre, mais on est supposé s'intéresser à des personnages, souhaiter savoir ce qu'ils deviennent, se préoccuper de vies peu crédibles au sein d'un univers flou, selon un processus d'implication autopersuadée que j'ai perdu, heureusement.

D'ailleurs, j'ignore comment avec la meilleure prévention possible on peut se pencher sur ce récit, j'ignore comme il serait fait pour qu'on y explore comme en-dedans de soi, j'ignore comme on peut s'en contenter : c'est que la mesure du Contemporain est encore plus médiocre et plus vile que je pensais, et qu'il se reconnaît à des simulacresintégraux où il ne s'aperçoit même plus qu'il perd son temps. Rien n'y a la saveur de l'être, la consistance approximative de l'être, le soupçon même adultéré de l'être ; rien ne m'y paraît écrit en la dimension de l'humain respectable ou vrai. C'est que je me figure à tort qu'un homme veut résoudre des mystères des profondeurs, tient à transposer des situations précises, aspire à se sentir représenté et complété par de la matière nouvelle ; je me figure que l'objectif du livre se situe en cet accomplissement hors de ses propres limites ; je me figure que l'auteur en a conscience et ne se livrerait pas sans honte à des esquisses-action. Or, comment cette ambition serait-elle réalisable avec Serge ? C'est sans aucun doute, sans nulle partialité et d'une façon que confirmerait même un amateur de Reza, exposé à une vitesse déshonorante, sans détails nuancés, d'une psychologie dérisoire, laideur et survol, tout en résumés de narration et de dialogues, sans description originale, sans réflexion juste, sans l'exposition essayée d'une transcendance.

Et même environ pas une description ni une pensée. Factuel, lapidaire, et sans force. Un épanchement de sérosité, mais tout extérieure, sans bénéfice d'une révélation d'entrailles, sans même l'avantage d'une purgation. Une totale et sidérante absence de vues sur la vie et sur l'art.

Je ne sais pas ce qu'un écrivain croit faire quand il écrit ceci : je ne vois ni l'écrivain ni l'écriture.

Ce n'est même pas assez psychologique pour évoquer ou pour dénoncer. Nul ne saurait affirmer qu'un homme est bien ainsi, et nul ne saurait affirmer qu'un homme est mal, ainsi.

Si je demande où c'est un livre, on me répondra qu'il y a des pages et des mots écrits ; si je demande où c'est un roman, on me répondra que ça raconte une histoire ; si je demande où c'est de l'art, on me répondra...

Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant