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Vous est-il déjà arrivé de chavirer et de perdre pied au moment où vous vous y attendiez le moins ? Parfois, certaines choses vous tombent dessus, et vous ne savez même plus si vous devez vous aimer ou vous détester de ne pas avoir su vous en éloigner. Vous en délivrer. On se sent... perdue. Et en même temps transportée, plus vivante que jamais.

Il n'y a bientôt plus grand-chose d'autre à quoi se raccrocher. Mais sur le moment, on n'en a vraiment rien à faire. Plus rien d'autre ne compte. C'est comme une pente savonneuse, mais sur un toboggan qu'on ne voudrait pour rien au monde quitter. Cette puissance qui est maintenant en moi... je n'aurais jamais cru qu'elle puisse exister. Ce pouvoir que j'ai sur les gens... je ne l'aurais jamais imaginé possible.

J'essaie de rétablir mes pensées. Ça n'a rien de facile. Quand votre vie s'est retournée, comme ça, complètement, ce n'est pas simple. Quand l'idée que vous vous faisiez de votre existence, il y a peu de temps encore, s'est juste cassée la gueule. Parce que ce en quoi vous croyiez a été remis en question.

Il y a des règles à connaître, quand on fréquente un homme tel que lui... si beau et ténébreux qu'il vous fascine : vous commencez même à le soupçonner d'être immortel, tant la mort n'a pas prise sur lui. Lorsqu'un tel homme passe son temps à vous protéger, mais qu'il vous rejette avec un certain sadisme quand vous essayez de lui parler, ou même de le remercier de vous avoir sauvé la vie : fuyez, fuyez très vite. En tout cas, c'est ce que pensait Laetitia. Je n'étais pas forcément du même avis. Je me suis prise au jeu. À son jeu à lui. Et le jeu m'a possédée. Maintenant, ce que je suis devenue... c'est à la fois tout à fait moi, et bien davantage.

Laetitia a perçu le danger assez rapidement. Elle s'inquiète toujours pour moi, surtout depuis que je l'ai rencontré... celui qu'il ne fallait pas approcher. Celui pour lequel désormais mon cœur bat.

À présent j'essaie de réorganiser mes ressentis, mes idées qui sont maintenant en vrac, ainsi que ma vision des choses, profondément chamboulée. « Agathe, fais attention, il n'est pas évident de revenir en arrière ». « Agathe, la raison doit l'emporter sur les sentiments, sur les folies ». « Agathe... ». Et pourtant, malgré les mises en garde et recommandations, je reste persuadée que rien n'est jamais figé. Ce que l'on vit peut nous faire changer, à jamais.

La vraie vie n'est pas uniquement celle que l'on nous vend. Maintenant, j'ai des étincelles, et des étoiles de lumière dans les yeux.


*  *  *  *  *


Centre-ville, Marseille. 23h03.

Il m'est déjà arrivé de devoir partir d'un endroit qui craignait trop, mais cette fois ça a l'air plus grave encore.

Je quitte mon téléphone du regard et relève les yeux quand j'entends le ton monter entre tous ces mecs qui se disputent, de l'autre côté de la route. Je suis assise sur ce banc pour attendre ma meilleure amie, Laetitia ; on a l'habitude d'aller à Marseille pour des soirées ou pour le shopping. On est venues ensemble, elle est allée rendre visite à une amie avant de me rejoindre, mais elle vient de m'annoncer qu'elle est retardée. Et là, je commence à me dire que ce n'est pas le lieu parfait pour se retrouver, à 23 heures, seule comme je le suis.

Les types de l'autre côté de la route commencent à s'énerver. Ils crient fort, leurs voix gutturales résonnent dans la rue. D'autres mecs les rejoignent. Et apparemment, ça n'améliore pas la situation. Au contraire.

J'écris un message à Laetitia et m'apprête à partir. Mais, tout à coup, un son puissant me fait sursauter. Mon sang se glace. Je rêve ou...

Je regarde de l'autre côté de la route : les mecs s'activent, et certains commencent à partir en courant de tous les côtés.

Oulà, putain, faut vite que je dégage de là... J'espère que le son que je viens d'entendre n'est pas ce que je crois...

Mais quand j'entends un second coup de feu, le doute n'est plus permis : un frisson glacial me traverse le corps et la panique m'envahit. Je bondis de mon banc et m'élance dans la direction opposée afin de m'éloigner le plus vite possible.

Soudain, je vois apparaître devant moi un jeune homme sur une moto noire et brillante, qui traverse le voile obscur de la nuit pour rejoindre le lieu de l'affrontement. Le vrombissement féroce de son moteur emplit violemment mon corps et me cloue sur place. Il roule tellement vite que je n'ai pas le temps de bien le voir, mais il est si impressionnant que je me tourne pour le contempler. Il passe devant les délinquants dans un tel rugissement de moteur que tous les autres bruits en paraissent assourdis. Il renverse plusieurs personnes et les traîne, hurlantes, sur l'asphalte, ce qui met immédiatement fin au combat.

Certains semblent se retourner contre lui : j'entends des coups de feu et je le vois aussitôt zigzaguer avec vitesse et talent pour se jouer de ses agresseurs. Aucune balle ne semble le toucher ; il revient vers eux, fait rugir sa moto et envoie violemment dans le décor ses derniers adversaires.

Il s'immobilise enfin et balaye du regard la scène de carnage autour de lui, dans une attitude froide et désinvolte. Redressé sur son puissant bolide noir, insolent, tel un aigle au visage sombre qui ne daigne même pas achever ses proies.

Puis il redémarre et disparaît dans la nuit.

Je reprends mes esprits et le contrôle de mon corps quand je ne sens plus les fortes vibrations de cette moto me traverser.

Je m'enfuis en courant à toutes jambes. Le plus loin possible de cet enfer.

Je suffoque, en essayant d'ignorer l'odeur des pneus brûlés sur l'asphalte ; le vent me frappe au visage et mon cœur bat si fort qu'il semble prêt à s'échapper de mon thorax.

Courir, juste courir jusqu'à être assez loin, et ne penser à rien d'autre.

Mais je revois encore dans ma tête cet homme ténébreux, déjouant la mort et les balles de flingue qui fusent autour de lui, tel un effrayant dieu de la nuit.

La Panthère de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant