STORM

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"...tu dois réaliser qu'en l'état actuel des choses. Dinah est un danger pour les enfants, pour toi et pour elle-même."

-Inès Khemissa

Point de vue Ken Samaras

Quand Christian Delavigne est mort, Dinah est restée dans un état apathique pendant presque un mois. Elle n'a jamais été en mesure de me donner des détails sur cette période de sa vie, déjà parce qu'elle n'en parle pas mais surtout car ne s'en souvient pas. Philippe s'en souvient. Il m'a expliqué comment Marc a mis toute sa vie entre parenthèses pour s'occuper d'elle. L'aider à se lever, à se laver, la forcer à manger. La plupart du temps elle n'opposait aucune résistance en raison de son état apathique. Elle était comme un corps fonctionnel mais sans rien à l'intérieur.

Marc est parti.

Quand t'aime quelqu'un, quand tu t'engages avec une personne, c'est pas juste pour les bons côtés, c'est également pour les moments difficiles. Quand j'ai décidé que Dinah ferait partie de ma vie quoi qu'il m'en coûte, ce n'était pas uniquement pour les bons côtés. J'avais conscience des risques que cela impliquait. Pas juste au niveau de notre relation, je parle aussi de sa dépression. Elle a toujours été très claire sur ce point, elle pouvait revenir d'un jour à l'autre, sans préavis. Je savais et j'l'aimais avec toute mon âme cette femme, j'étais prêt à courir le risque.

Maintenant que le risque est arrivé, je l'aime toujours de toute mon âme. Alors c'est moi qui prends soin d'elle. Le premier soir j'ai attendu qu'elle s'endorme pour la déplacer jusqu'à notre lit et depuis c'est mon quotidien. L'aider à prendre sa douche, lui monter des repas pour qu'elle se nourrisse. Le seul truc qu'elle fait seule c'est aller aux toilettes. Le plus dur c'est pas de devoir jongler entre elle et les triplets, le plus dur c'est de croiser son regard désespérément vide, jours après jours. C'est ça qui me bouffe.

Je préférais qu'elle soit triste. Sans saisir l'entièreté de sa douleur, j'aurais pu la comprendre, la soutenir. J'ai perdu des gens, traversé des deuils. Mais la façon qu'elle a de se distancier de toutes ces émotions, d'elle-même. Je parviens pas à le comprendre, à l'appréhender. Je vis avec une boule dans le ventre qui pèse au moins autant que ses soixante et quelques kilos.

Pour éviter qu'elle ne passe toutes ses journées, allongée dans notre lit, j'ai installé devant un fauteuil près d'une fenêtre et c'est là qu'elle se tient, le regard fixé sur l'extérieur sans pourtant qu'elle ne regarde quoi que ce soit.

-Tu dois la faire interner

Je me détourne de son image pour faire face à ma meilleure amie. D'un signe de tête, je lui indique de me suivre jusque dans le salon. J'aime Inès à la mort, et je pourrais jamais la remercier suffisamment pour ce qu'elle a fait pour moi et pour ce qu'elle continue de faire. C'est essentiellement grâce à elle que je parviens à tenir le coup, mais son côté moralisateur, est aujourd'hui la dernière chose dont j'ai besoin.

-J'ai déjà dit non.

-Ça fait deux semaines. Tu peux pas continuer comme ça, tu vas t'épuiser.

-Et je suis censé faire quoi hein ? L'envoyer dans un hôpital pour qu'il puisse la droguer. Elle pas besoin de médicament, juste d'un peu plus de temps.

-Tu dois aussi penser aux garçons.

-Tu crois que c'est pas déjà ce que je fais, toutes les minutes de toutes ces putains de journées.

-Je sais, mais tu dois réaliser qu'en l'état actuel des choses. Dinah est un danger pour les enfants, pour toi et pour elle-même.

Au départ personne n'a rien dit. Elle était sous le choc, je m'occupais d'elle. Mais les jours ont passé. On pensait qu'elle reviendrait à elle pour l'enterrement. Elle a à peine cillé quand je lui en ai parlé. L'autopsie a confirmé ce que le médecin avait deviné. C'est bien une rupture d'anévrisme qui a mis fin à la vie de Marc Duval. L'enterrement passé, je me suis dit que peut-être la présence des triplets aiderait. Eux non plus n'aident pas. Quand, ils se trouvent dans son champ de vision, elle plante ses iris dans leur direction mais semble ne pas les voir. Ni les entendre.