STORM

052

"Oui c'était trop bien, même la maitresse, elle a dit qu'on irait voir des crocrodiles"

Nolan Samaras-Duval

Février 2027
Point de vue Dinah Duval

J'avance dans la pièce tout en triturant mes ongles. Je ne les ronge pas, je les triture avant de les arracher, ce qui n'est pas beaucoup mieux, surtout que je tente de les faire pousser.

-Est-ce que vous pouvez mettre un mot sur la sensation.

Je ferme les yeux et soupire.

-C'est comme si, comme si, je n'arrivais plus à respirer.
-Depuis quand ?
-Je sais pas.
-Si vous savez mais vous ne voulez pas vous l'avouer Madame Duval.
-Samaras-Duval, je réponds machinalement.

La thérapie. Je n'ai jamais vraiment arrêté, mais ces derniers temps j'y vais plus souvent. Les choses sont compliquées entre Ken et  moi en ce moment et je sais que ça viens de moi. J'en porte la responsabilité, en tout cas je fais en sorte, de changer les choses.

-Samaras-Duval, il répète en redressant sa paire lunette. Reprenons dans une autre direction. C'est quand la dernière fois que vous avez eu la sensation de pouvoir respirer.
-Avant le mariage je suppose, je me rassieds sur ma chaise en soupirant. C'est comme, c'est comme si avant j'avais un but, je mime des guillemets sur le mot but. Et depuis plus rien. Comme si j'avais tout, mon mari mes enfants, ma carrière, et que ce n'était pas suffisant.
-Ce n'est pas suffisant ?
-Ça devrait l'être.
-Pourquoi ?

Pourquoi ça devrait être suffisant ? Parce qu'il n'y a rien d'autre, en tout cas pas à ma connaissance, je ne vois pas ce que je pourrais espérer de plus. Une carrière, un mari, des enfants.

-Est-ce que c'est ce que vous vouliez, un mari, une carrière, des enfants ?
-Non, je réponds en détournant le regard. En tout cas, pas les enfants, je me sens horrible de dire ça parce qu'on pourrait croire que j'm'en fous, que je suis une mauvaise mère ou que je ne les aime pas.  Mais merde, je suis passée de pas vouloir de gosse à quatre. Quatre. C'est un putain de cauchemar. Dans lequel y'a que des couches et des pleurs.  Je voulais être la cinquantenaire qui va toujours en boîte, je voulais une vie dissolue. Je voulais être libre.
-C'est ce que voulez toujours une vie dissolue ?
-Non plus. J'ai l'impression de pas trouver l'équilibre entre ce que je voulais et ce que j'ai.

Le doc prend une grande inspiration et comme à son habitude fait bouger ses lunettes avant de m'observer longuement. Je déteste quand il me regarde de cette manière, non seulement parce qu'il a la capacité de lire en moi comme si de rien n'était mais surtout parce que ça me rappelle qu'il est celui qui connait absolument tous mes secrets notamment les plus sombres.

-Je pense que vous faites erreur, madame Samaras-Duval, il insiste bien, sur mon nom. Ce n'est pas tant trouver un équilibre entre ce que vous vouliez et ce que vous savez, qu'entre ce que vous voulez et ce que vous avez. Qu'est-ce que vous voulez ?
-Me sentir libre. Mais peut-être que c'est plus pour moi. Peut-être que je dois accepter que ma vie a changé et apprécier ce que j'ai. Ce que je fais déjà. En tout cas j'essaye de le faire.
-Qu'est-ce que veut dire pour vous se sentir libre. Qu'est-ce qui vous fait vous sentir libre ?
-Je crois que c'est la simple idée que je pouvais tout abandonner du jour au lendemain sans me retourner. Ce que je ne peux plus faire maintenant.
-Pourquoi ?
-Euh, le mari, les enfants, je réponds comme s'il s'agissait d'une évidence.
-Ok, si on reprend en étant un peu moins extrême. Qu'est-ce qui vous empêche peut-être pas d'un jour à l'autre mais d'une semaine à l'autre, de partir à l'autre bout de la France, ou du monde pour des raisons professionnelles par exemple ?
-Sur le principe rien.
-Et dans les faits ?
-Je peux pas laisser Ken avec les petits.
-Pourquoi ? Après tout quand il part en tournée, c'est bien ce qu'il fait. Vous laisser seule avec les petits. Plus encore, il est celui qui voulait les enfants, mais vous êtes celle qui reste à la maison pour s'en occuper. Mettons de côté cette fameuse carrière dont vous êtes si fière. Je peux comprendre que vous soyez en colère contre Ken.
-Je ne suis pas en colère contre Ken.
-Dinah !