02 Le maître du chaos (3/3) [V.2]

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     Déserté de son sempiternel sourire, l'empereur darda sur le gouverneur un regard qui aurait glacé le plus brûlant des volcans. Faranan s'agrippa à son balai comme à une épée. Celui-là n'en avait sûrement jamais tenue une... Celtica se détendit. Complètement obsédé par leur hôte, le dissident lui parut moins menaçant. Peut-être n'était-ce qu'une illusion, sa colère aveugle changerait de cible bientôt.

     — Qu'a-t-il fait ? siffla l'empereur.

     Aljinan engloba la pièce dans ses bras, théâtral.

     — Je vous laisse un petit indice. Vous voyez cette décoration ? Des armes, des scènes de chasses, des femmes... Beaucoup de femmes. Tarabin a été son terrain de jeu. Croyez-moi, vous ne voudriez pas que votre fils entende cette sale histoire, mais je crois qu'elle sera formatrice.

     Sans prévenir, il passa un bras autour des épaules du prince qui se raidit. Par tous les dieux, qu'il serrait fort ! Alors qu'on le tournait vers Faranan, Celtica chercha de l'aide à travers la salle. Mais il ne trouva que des regards terrifiés, des spectres tremblants et des poupées de chiffons étendues au sol. Pas une trace de garde ou de démon ici.

     — Mon garçon, tu vois cet homme-là ? C'est le résultat d'une politique lâche et laxiste. Oui, je parle bien de toi, mon p'tit Jesd !

     Le jeune homme lança un regard au roi. Son visage furieux arborait un rouge vif, incandescent. Si ses yeux pouvaient tuer, il ne resterait plus rien d'Aljinan à l'heure actuelle...

     — En gros, c'est un problème pour répondre à d'autres problèmes. C'est pas un exemple à suivre, crois-moi. Tu veux savoir ce que cette larve a fait ? Juste avant votre venue, il s'est rendu à Tarabin. Il y a fait torturer tous les enfants. A fait violer toutes les femmes. Devant les yeux de tous les hommes, qu'il a fait réduire en esclavage. Tu sais, Port Lumis n'est pas une cité facile, je le reconnais, nous avons chacun notre petit caractère. Mais cela valait-il vraiment la peine de s'en prendre à notre plus cher voisin ? Qu'en penses-tu ?

     Un silence étouffant s'abattit alors. Tous les regards se posèrent alors sur Celtica. Quelle réponse attendait-il donc ?

     — Je n'ai que votre parole, avança le prince avec prudence. Sans preuve, il m'est délicat de trancher dans cette affaire. Ou de vous croire.

     Aljinan éclata de rire et libéra le jeune homme. Le prince rejoignit son père, perplexe.

     — Le gamin veut des preuves ! Il n'est peut-être pas aussi irrécupérable que la plupart d'entre vous. Exodica, quel garçon délicieux vous avez ! Mais vous, vous me connaissez, et surtout, vous connaissez Jesd. Il se fiche pas mal des vacheries de celui-là, poursuivit-il en montrant Faranan, et d'habitude, tout le monde s'en accommode tant bien que mal. Mais cette fois-ci, il a dépassé les bornes ! Vous savez, je me suis mis à la place de ces pères brisés. J'ai même pas essayé d'imaginer ce qu'ils ont ressenti lorsque leurs filles ont été agressées. Je comprends leur horreur. J'ai une petite fille moi aussi, et cette fichue bourrique est la prunelle de mes yeux. Je me suis dit alors une chose. S'en prendre à des adultes passe encore. S'en prendre à des gars armés passe encore. Mais des enfants et des villageois sans même une fourche pour se défendre, non !

     Il se planta devant l'empereur, les bras dans le dos. Son assurance forgeait l'admiration, même si Celtica aurait souhaité se trouver à des lieues d'ici.

     — Votre fiston a soulevé un point intéressant. Est-ce que je vous ai menti, ou est-ce que je vous ai dit la vérité ? La question mérite d'être posée. Vous vous êtes d'ailleurs déjà forgé votre propre opinion, et peu m'importe, au final. Ce que je sais, c'est que ce porc est dangereux, et que ma fille, non, toutes les filles de la région courent un danger perpétuel. Si Jesd se fiche éperdument du futur de sa mioche, il n'en est pas de même pour vous et moi. Alors je vous parle de papa à papa. Nous sommes tous les deux taillés dans le même fichu roc. Nous élevons seuls nos enfants, nous portons sur nos épaules tout le poids d'une société complexe. Nous sommes les seuls responsables des maux que traversent nos administrés. Oh, je n'oserai jamais me comparer à vous, Exodica, mais je connais les affres du pouvoir et de la paternité. Maintenant, ce que j'exige, ce qu'exigent mes concitoyens, c'est que vous rappeliez vos loyaux cabots, ceux derrière la vitre, et que vous me laissiez punir ceux qui doivent l'être. Détendez-vous, il n'est pas question de leur mort, personnellement, je ne crois pas à la peine capitale.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant