Hayne remercia d'un subtil mouvement de tête le serviteur qui venait de lui déposer dans son assiette une belle tranche de rôti de cerf... ainsi qu'un minuscule papier dans le creux de son poing. Son père le regardait depuis l'autre bout de la table, un sourcil levé. Sa mère mangeait paisiblement, les yeux sagement baissés sur son repas.
— Un billet de l'un de mes admirateurs, informa-t-il avec un sourire calculé.
— Je n'aime pas qu'il fasse cela lorsque nous sommes à table, grinça le roi.
— Je le leur dirai. Une nouvelle fois.
Hayne sourit à part lui. Un admirateur, hein ? Un espion, surtout ! Mais pour la discrétion, il repasserait. Ce serviteur était jeune, il devait encore apprendre son travail. Il ne le punirait certes pas pour si peu ! Il était de notoriété publique que Hayne devisait à longueur de temps avec des hommes de tous horizons, bien qu'ils ne fussent pas tous ses amants. À vrai dire, il en avait peu, et jamais plusieurs à la fois, contrairement à ce que racontait sa légende. Mais les langues de vipères pouvaient bien cracher tout leur venin, lui, cela ne l'atteignait pas.
Ils étaient là, trois pauvres âmes attablées dans cette immense pièce, richement pavoisée des armoiries royales, les trois bleuets épanouis surmontés d'une couronne sur fond vert émeraude. C'était d'une tristesse ! En particulier depuis qu'Annya avait rejoint le Brasier. Non pas que l'ambiance ait été un jour chaleureuse et aimante, mais la pesanteur actuelle l'irritait. Hayne n'avait jamais été un homme très expansif, mais se retrouver au centre de l'attention familiale nuisait à ses affaires. Bien qu'il fût l'unique héritier, Jesd tardait à rendre sa couronne. Il fallait donc lui prouver qu'il était fin prêt à prendre les rênes du pays.
Alors que le roi discutait avec son épouse, il déplia le billet :
« Prise inattendue. En attente des ordres. »
Il esquissa un nouveau sourire. Tient donc ? Une prise inattendue ? Voilà qui pourrait égayer un peu cette sinistre fin de journée, après cet interminable repas. Il avait prévu de déguster un verre de vin devant un bon livre, ou bien dans le salon, où se jouait en ce moment l'un des plus beaux morceaux du répertoire arcan. Mais cette nouvelle le réjouissait au plus haut point. Il ne lui restait plus qu'à s'échapper de ce repas assommant et filer dans les geôles, où il rencontrait habituellement ses espions.
— Qu'as-tu à sourire ainsi ? l'interpela le roi, avec un air de dégoût.
— Je ne suis pas certain que vous souhaitiez réellement le savoir, père.
— Encore un de tes fichus amants, grommela-t-il. Le jour où tu te décideras à observer des mœurs normales...
Hayne le fixa dans les yeux, très tranquillement. Essayait-il de l'insulter ? De le vexer ? Oh, il le décevait. Il le croyait plus intelligent que cela !
— Ce jour-là, vous seriez très probablement un père aimant et attentif. Mais ce jour me semble encore bien lointain.
Jesd frappa du poing sur la table, renversa son verre de vin. Son visage rouge se tordait dans une expression de fureur toute caractéristique : il voulait hurler, mais ne le pouvait, à cause du personnel qui allait et venait. Hayne posa les coudes sur la table et croisa les doigts devant lui, sans dissimuler sa jubilation. Les serviteurs autour avaient d'ores et déjà ralentis leurs mouvements, dans la crainte de manquer la suite de la scène. Cette esclandre ruinerait la réputation du roi, déjà mise à mal par l'odieuse rébellion d'Aljinan et la disparition de Celtica. Enfin, disparition... Jesd ignorait qu'il l'avait aperçu.
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Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du Feu
FantasyDe l'autre côté de la voûte céleste Chantent les étoiles. Elles content une querelle millénaire qui oppose les dieux. Une fabuleuse épée, Ironie, est au centre de toutes les préoccupations, car son nom est synonyme de destruction. Pour retarder l'in...