38 Nar'y (2/3)

25 9 4
                                    


     Une foule agitée, pressée remuait sur la grande place. Des marchands appelaient le chaland en vantant l'état exceptionnel de leurs articles, la fraîcheur de leurs denrées. Des odeurs de poulets rôtis, de pain fraîchement sorti du four flottaient dans l'air. Des enfants se courraient après, luttaient dans les éclats de boues et de rire. Les femmes, papillons pressés aux robes pâles, voletaient d'un éventaire à l'autre, les bras chargés de commissions. Les gardes royaux patrouillaient d'un pas impavide, volaient parfois une pomme ou une miche de pain.

     Voilà ce qu'offrait Nar'y. Du bruit, du mouvement, aucune harmonie. Celtica trouvait la capitale laide, avec ses maisons de pierre grises, ses cheminées crachant de la fumée noire, ses rues sans pavés noyées sous les immondices. Dans cette partie de la cité, il n'existait pas de système d'égout. Les chevaux, les vaches, les chèvres, les cochons, les chiens, les chats et les rats allaient et venaient dans un maelström erratique, chaotique. Nul chant d'oiseau ; d'arbres, il n'en poussait aucun.

      Habitué à l'élégance de la belle Estalis, Celtica se sentit tout à coup perdu. Même Port Lumis, fanion du désordre fait état, ne lui paraissait pas si... anarchique !

     Cléon le lâcha et s'éloigna de lui d'un bon pas, à contrecœur. Ils devaient rester discrets... Quelle que soit la nature nouvelle de leur relation. Ils n'y avaient pas vraiment songé, à vrai dire. Ils n'en parlaient pas. Jamais. Le prince craignait que tout devienne réalité s'ils abordaient le sujet. Que les choses prennent un poids considérable, qu'ils ne seraient plus en mesure d'assumer. Il préférait les petites caresses, les étreintes furtives, les minuscules marques d'affections, somme toute innocentes.

     — Bien, où est-ce qu'on les retrouve ?

     — Je leur ai donné rendez-vous à la Pomme des Pins. C'est une auberge bien fréquentée, nous ne rencontrerons aucun problème.

     Cléon soupira, puis lui adressa un sourire.

     — Ça me fait bizarre de les revoir. Surtout... maintenant.

     — Moi aussi.

     Le prince déglutit. Voilà tout ce qu'il n'espérait pas ! Une allusion à leur... rapprochement. Était-ce réel, était-ce un jeu ? Il n'en possédait pas le moindre début de réponse. Ils empoignèrent fermement leurs sacs de voyage et le coffret aux magilithes, puis se mirent en quête de la fameuse auberge.

     Pas après pas, une douce appréhension montait en lui. Malgré la hâte de retrouver Vlad, Fédra, et peut-être même Telnim, une partie de son être pleurait déjà la fin de son séjour à Port Lumis. Il pensa à sa barbe naissante, qui le démangeait. L'avait-il correctement rasée ? Ses cheveux n'étaient-ils pas trop longs ? Ses vêtements seraient-ils assez convenables ? Que penseraient-ils de ses décisions ? Et de Cléon ?

     L'écriteau pendait fièrement au bout d'une rue étroite, mais étonnamment propre. Les maisons, bien entretenues, se dressaient altières. Les sons du marché leur parvenaient moins brutaux. Un énorme chat fila en les voyant approcher et se glissa par une fenêtre ouverte. Tapi dans l'ombre, il les observa passer, suspicieux.

     La Pomme des Pins leur présenta une porte plutôt raffinée, décorée de branches de sapins. Celtica poussa la porte le premier. Des senteurs de chêne volèrent jusqu'à ses narines, calma l'agression extérieure qu'ils subissaient depuis leur atterrissage. La salle commune accueillait la première les clients, bienveillante. Un feu doux brûlait dans l'âtre, chassait le froid hivernal. Jugeant qu'elle ne dissimulait aucun danger, Celtica laissa sa compagne lui emboîter le pas.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant