Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du Feu

35 Estalis, la belle (3/3)

     Le palais leur ouvrait enfin ses bras. Les gardes postés à son entrée surveillaient la grande place entre les temples et la résidence impériale comme si Mérénos pouvait surgir des ténèbres d'un moment à l'autre. Ils saluèrent les deux hommes, un peu surpris par la présence du marquis. Mais ils ne posèrent aucune question et retournèrent à leur devoir.

     Entre les murs, il faisait bon. Une bonne odeur de bois emplissait les couloirs, les courtisans, indolents, se promenaient de salon en salon pour bavarder et écouter de la musique. L'empereur se trouvait probablement dans l'un d'eux. Vlad sourit. Cela signifiait qu'il se sentait suffisamment vaillant aujourd'hui.

     Tous ceux qu'ils croisaient ne masquaient pas leur stupeur. La présence du marquis d'Œilbleu n'était pas souhaitée. Mais il s'en moquait bien. Telnim à ses côtés, il se sentait pousser des ailes. Ils pouvaient rire à ses dépens, l'insulter, l'ignorer, rien ne lui arriverait tant qu'il compterait le maître d'armes parmi ses amis les plus fidèles.

     Trouver l'empereur se révélait d'une simplicité déconcertante. Il suffisait de voir gonfler la masse de courtisans et de jolies dames pour s'en rapprocher. Bientôt, le couloir parut impraticable. Les deux amis durent jouer des coudes, rivaliser d'ingéniosité pour se frayer un chemin à travers cette marée noire.

     Enfin, ils le virent.

     Exodica, installé sur un fauteuil confortable, une couverture de laine sur les genoux, écoutait une cantatrice chanter son amour pour un simple pêcheur. Autour de lui se déployaient son frère, le seigneur Amolica, Dame Linie, Dame Annya et ce misérable Faranan Yréan. Celui-ci fermait les yeux et affichait un large sourire, transcendé par cette mélodie... pauvre. L'empereur n'aimait pas cette chanson, qui semblait appartenir au répertoire augustrien.

     Un garde vint leur demander l'objet de leur visite et se faufila discrètement jusqu'à Son Excellence. Celui-ci braqua ses yeux d'acier sur le marquis, un sourire s'épanouit sur ses lèvres et il lui fit signe d'avancer. Intimidé, Vlad obéit. Il remarqua alors le démon des Poissons, visage découvert, dissimulé dans l'ombre...

     La cantatrice se tut, effectua une révérence sous une pluie d'applaudissement.

     — Ah ! Bravo ! Bravo ! lança joyeusement le gouverneur replet. Je n'ai jamais entendu si belle voix ! À présent, si vous le voulez bien, interprétez-nous le...

     — Suffit, siffla Annya. Son Excellence reçoit de la visite.

     Vlad et Telnim effectuèrent le salut impérial. Pour sa part, le marquis resta concentré sur le regard de l'empereur. Regarder la princesse lui ferait perdre tous ses moyens...

     — Votre Excellence, commença Telnim, nous souhaiterions nous entretenir avec vous en privé.

     Exodica scruta le visage des deux hommes. Cherchait-il à deviner leurs pensées ? Il se tourna vers Risha qui vola à son chevet et l'aida à se relever. L'empereur avait maigri. Ses vêtements pendaient un peu sur ses membres de plus en plus graciles. Au lieu de congédier la cour, il suggéra à la cantatrice de poursuivre sa représentation. Les gardes fendirent la foule, dissuada d'un simple regard les plus hardis de défier leur autorité. Seuls Annya, Amolica et le démon furent admis à sa suite.

     Ils gravirent les escaliers pour atteindre la partie privée du palais. Vlad respira plus librement. L'air paraissait plus frais, plus agréable. Les serviteurs voletaient d'une chambre à l'autre, du linge plein les bras. Ils suspendirent momentanément leurs activités au passage de la procession impériale, puis reprirent leur travail en chantonnant.