44 À la faveur de la tempête (1/3)

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     Le vent faisait rage dehors, hurlait contre les tentes, s'engouffrait tel un envahisseur sous les fourrures. Celtica tremblait chaque fois qu'une rafale cognait contre ses murs souples, autant de froid que de peur. Son monde n'était que ténèbres, glace et repas froids. Les guerrières ne lui rendaient visite qu'en de très rares occasions, souvent en groupe. Elles discutaient fort et perturbaient son sommeil déjà difficile. Ses repas lui étaient servis directement dans sa bouche. Il ne jouissait d'aucune intimité et ne savait jamais s'il était seul ou non. Les démangeaisons de ses joues annonçaient la naissance d'une barbe insolente.

     Quelqu'un fit claquer le pan de tente qui servait d'entrée. Ses pas, déterminés, martelaient la neige glacée, peu soucieux de troubler le prisonnier. Celtica retint son souffle, voilà qu'approchait Svavà, la plus bourrue de ses geôlières. Il ne l'avait jamais vue, n'avait pas non plus ressenti son aura, mais il l'imaginait imposante et musclée, native de l'élément feu, au moins ! Sans douceur, elle s'accroupit devant lui et lui saisit la tête entre ses mains délestées de leurs gants. Pas de doute, il s'agissait bien de cette brute de Svavà !

     Pendant quelques instants, elle observa son visage sous toutes les coutures, le manipula avec rudesse. Elle exhalait l'odeur caractéristique des baumes contre les engelures dont les Walkyries s'enduisaient le corps. Entêtante et fortement boisée, elle retournait son pauvre estomac vide. La guerrière lui tira les cheveux et lui renversa sa tête en arrière. Elle s'offrait ainsi sa gorge.

     — Le Qirin d'argent est toujours aussi vaillant, à ce que je vois, persifla-t-elle. Je devrais peut-être prendre plus de précautions.

     Celtica se tortilla, mais entravé par les liens et le froid, il n'obtint aucun résultat. Il ne pouvait même pas hurler ! Il entendit une lame sortir de son fourreau et imagina le pire. Sa gorge exposée accueillerait bientôt un collier sinistre. Contre toute attente, la lame se posa sur sa joue. Froide et meurtrière, elle glissait en douceur, sans mordre la chair.

     — Fiandrjinn Heelà refuse qu'on te défigure. C'est bien dommage, je ne supporte pas ton visage.

     Du plat de sa lame, elle lui gifla l'autre joue et l'obligea à tourner la tête. Il serra les dents, son cuir chevelu menaçait de se détacher de son crâne. Tandis qu'une chaleur indésirable se glissait sous sa peau, une substance froide et souple envahit ses joues, le pourtour de sa bouche, son menton jusqu'à sa gorge. Le poignard racla sa peau avec une lenteur cuisante, qui laissait sur son passage des picotements et un incendie douloureux.

     — Tu as vraiment de la chance, vafnös. Je ne toucherai que ta maudite barbe ! Fiandrjinn Heelà tient à ce que tu sois présentable, aujourd'hui. Tu vas rencontrer Fiandrjinn Skavì de la Gloire d'Ostuia. Un grand jour !

     Celtica blêmit. La cheftaine de la Gloire d'Ostuia... Il n'existait pas pire adversaire ! Elle n'hésiterait pas un seul instant à le tuer, si l'occasion se présentait, et qu'importent les conséquences. Déclencher un conflit majeur entre le Brasier et les clans walkyries ne l'effrayait pas. Elle désirait arracher le duché de Blancherive au Brasier, et pourquoi pas Estalis. Il vivait au nord de l'empire de nombreuses guerrières des glaces qui subissaient le règne d'un mâle, selon leurs mots. Les Walkyries constituaient un problème majeur, mais la duchesse Yékatérina de Blancherive calmait leurs ardeurs... Jusqu'à présent. La duchesse ne pouvait plus porter d'enfant et n'avait mis au monde que des fils. Alors les guerrières s'agitaient, fomentaient des projets de rébellion.

     La réputation de Skavì dépassait les frontières. Elle mettait au pas les nouveaux hommes qui franchissaient la chaîne montagneuse du septentrion, entre le Néöfrä et les pays limitrophes. Elle n'hésitait jamais à couper des têtes s'il le fallait. De nombreux intellectuels et poètes la qualifiait de Reine du Nord, bien qu'elle ne gouvernât aucune nation. Elle ravageait les villages qu'elle considérait dangereux pour son peuple et sa culture, sans état d'âme. Il parvenait parfois à la cour d'édifiants récits de ses exploits. Il se chuchotait même qu'elle avait repoussé seule une discrète attaque arcane ces dernières années.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant