37 La fête de l'Hiver (3/3)

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     — Ah ! Les voilà !

     Cléon s'éloigna d'un saut de Celtica et croisa les bras. Cependant, elle ne réprima pas un sourire complice qui le ligotait. Que ne donnerait-il pas pour la voir toujours sourire ! Au petit trot, Falmin les rejoignit et passa un bras autours des épaules du prince.

     — J'aimerais causer à Son Altesse, lança-t-il à Cléon. Ça t'embête si je te l'emprunte ?

     — Me le casse pas, hein ! J'ai besoin de lui, on s'envole dans deux jours !

     — Pas de problème alors ! Y'a Soh Yuun qui est toute seule, va t'amuser avec elle !

     Sans laisser au prince le temps de répliquer, Cléon s'éloigna d'un pas sautillant. L'aubergiste désœuvré tira son nouveau compagnon à l'écart, sur les quais. La musique se faisait moins forte, contrairement à l'odeur de l'eau. Les nuages s'effilochaient, déchirés par les brusques vents d'altitude, et découvraient des étoiles lumineuses qui se reflétaient dans la mer noire.

     — J'ai une surprise pour toi, déclara Falmin alors qu'ils s'aventuraient le long d'un ponton.

     — Laquelle ?

     Il sourit, mystérieux, et détacha de son ceinturon un fourreau qu'il lui tendit. Celtica reconnut la poignée du sabre qu'il avait perdu le soir de l'attaque. Il tira la lame au clair et ne constata aucun dégât. Prodigieux... Lui qui s'était attendu à en acheter un autre !

     — Comment...

     — Lorsque t'es tombé de la bestiole, j'ai vu le sabre plonger. La baie est pas très profonde, alors on a décidé avec quelques copains de le retrouver. On s'est dit que tu serais content de l'avoir.

     — Content est un euphémisme ! Merci, j'ignore comment vous montrer ma gratitude...

     — Respecte ta parole, convaincs Jesd et on sera quitte. Ah, et veille sur Cléon. Tu sais, elle est précieuse. Le chef nous pardonnera jamais s'il lui arrive quelque chose.

     Falmin alluma une cigarette, pris une grande bouffée. L'odeur âcre vint lui agresser les narines et lui ravit ses derniers instants de ravissement pour l'ancrer dans la réalité, bien plus crue.

     — Je vous ai vu, tous les deux, et je dirai rien, mais si tu la fais pleurer...

     — Je crains que cela n'arrive...

     L'aubergiste secoua la tête.

     — Non. Ça arrivera pas parce que tu as le choix.

     Celtica se passa une main dans les cheveux. Le choix... Celui-ci ne lui avait jamais appartenu. Ou plutôt, ils se cantonneraient à son règne. Envahir ou discuter. Punir ou pardonner. Sa vie privée ne concernait que ses sujets. Avec qui passait-il du temps ? Voire, du très bon temps ? Quel noble privilégiait-il, lequel disgraciait-il ? Qui le contrariait, qui le ravissait ?

     Le choix était le seul luxe dont il ne disposait pas. En toute honnêteté, il ne pouvait décemment se plaindre. Quand son estomac criait famine, on lui apportait les plus délicats mets du palais, de grande qualité, en grande quantité. Quand sa peau se couvrait de frissons, on le recouvrait des plus chaudes couvertures, douces et épaisses. Quand il éternuait, les plus éminents médecins du pays se précipitaient à son chevet, obséquieux et envahissants. Il ne manquait de rien, et la plupart du temps, son esprit n'avait pas le temps d'esquisser les contours d'une envie qu'elle se voyait déjà comblée.

     Pourtant, il restait un creux en lui, qui se remplissait jour après jour d'une liqueur amère. Ce soir, une partie s'était changée en miel qui apaisait son aigreur. Penser au futur, à ses obligations, à son destin déjà scellé tournerait la liqueur en vinaigre. Il lui en voulait, un peu, de retourner le couteau dans la plaie. Mais il ne pouvait se voiler la face.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant