15 Le chef de Port lumis (2/3)

63 13 10
                                    


     Le matin se levait, gris et pâle. Aljinan avait atterri un peu en dehors de la ville et dissimulé le Chaos dans un bosquet. Il ne tenait pas à ce qu'on le dépouille de ce petit bijou d'artisanat. Cette cité ne disposait ni de tour alchimique, qui aurait pu entraver ses mouvements, ni d'aérogare où il aurait pu se poser.

     Aljinan avait passé sur ses épaules une cape et tiré sur son crâne la capuche. Sa stature le rendait particulièrement visible, mais pas aussi reconnaissable que sa célèbre tête chauve. Il avait ici des espions, mais le reste de la population devait ignorer jusqu'à son existence. Il se dirigea vers l'auberge, où, miraculeusement, sa fille et les Brasiens avaient décidé de séjourner. Il y entra sans frapper et fut aussitôt accueilli par le vieux propriétaire.

     — Ah, chef ! Te voilà enfin ! Il s'est passé quelque chose d'affreux hier, ta fille...

     Son sang ne fit qu'un tour. Il lui jeta un regard en lui promettant mille tourments et monta à l'étage, ouvrit en trombe chaque porte sans jamais s'excuser, et essuya, stoïque, les insultes qui en fusaient. Et lorsqu'il ouvrit la troisième d'entre elles, il se retrouva face à face avec une femme et un homme armés, bien décidés à le chasser de la pièce. Il intercepta le poing de la femme qui se jetait sur lui, lui asséna un fort coup de tête, maîtrisa le second individu sans ménagement.

     — Ça y est, z'êtes calmés ?

     L'homme blond tressaillit.

      — Aljinan ? Pourquoi...

     L'imberbe referma la porte d'un violent coup de talon et lâcha le pauvre marquis. Puis il se débarrassa de sa capuche. Fédra se frotta le front, furieuse d'avoir subi une telle déroute. Mais le Lumissien s'en moquait. Deux lits avaient été dressés, et chacun d'entre eux était occupé. L'un d'eux attira aussitôt son attention.

     Pâle, le teint légèrement gris, Cléon gisait, presque inerte. La sueur collait ses jolis cheveux sur son visage crispé. La bouche grande ouverte, elle luttait courageusement pour accéder à un air qui se refusait à elle. Elle émettait un sifflement inquiétant et laissait parfois échapper un gémissement qui lui perçait la poitrine. C'était intolérable. Aljinan serra les dents et se glissa jusqu'à elle, prit sa petite main glacée et lui dégagea le front et les joues, d'un geste tendre et paternel.

     — Je suis là, ma puce, dit-il. Je suis là.

     Elle ne l'entendait probablement pas. Une colère froide montait en lui et il savait qu'elle dévasterait l'auberge s'il la laissait éclater. Il se tourna vers l'autre lit où était allongé l'héritier du Brasier. Celui-ci contemplait le plafond, l'air absent. Aussi pâle que sa fille, il semblait peiner à maintenir ses yeux mi-clos. Aljinan se leva et s'approcha, tout en contenant sa fureur.

     — L'épée ? demanda-t-il.

     La bouche de Celtica se tordit étrangement, il secoua la tête, sans oser se tourner vers lui. Il paraissait si misérable qu'Aljinan eut de sérieux doutes quant à ses capacités de régner.

     — Il a été blessé, intervint Vlad-Alexeï.

     — J'me doute bien qu'il fait pas la grasse mat', gronda l'imberbe. Vous m'expliquez l'état d'ma fille ?

     La Walkyrie et le marquis échangèrent un regard. Ils étaient gênés, de toute évidence. Aljinan croisa les bras, s'efforça de garder son calme. Inutile de les brutaliser eux aussi. Il fallait choisir aussi précautionneusement ses ennemis que ses batailles, et fâcher les Brasiens n'était pas dans ses projets... Dans l'immédiat, tout du moins.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant