29 Le crépuscule d'une époque (2/3)

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     Leina ! Un nom qu'il souhaitait rayer de sa vie. Il s'était toujours méfié d'elle, et à raison ! C'était l'ambition qui guidait ses pas ! Il ignorait encore ce qu'elle voulait à sa fille, mais une seule réponse se forma dans son esprit : l'affaire ne lui ferait pas plaisir.

     Tout en fulminant, Aljinan traversa à grandes enjambées la cité animée. Il ne prit pas garde à ceux qu'il croisait. Si cette maudite sœur n'était pas revenue dans sa vie, il aurait pu prendre tout son temps. Désormais, il ne pouvait plus se permettre de le perdre.

     Il arriva à l'hôtel de ville et réintégra son bureau. Celui-ci se présentait à lui propre et ordonné, chaque registre bien à sa place. Mieux encore, Shiraad avait tout rangé par thème et par ordre alphabétique. Les coffres remplis de pièces avaient été amputés des trois quarts, Aljinan en déduisit qu'une réunion s'était tenue. Il suffirait de consulter les volumes pour savoir qui les Lumissiens avaient choisi de financer.

     Son fauteuil près de la fenêtre n'attendait plus que lui. Oh, il n'allait pas le laisser languir plus longtemps ! Il s'y installa et observa son bureau. Tout avait bien retrouvé sa place. Impeccable, comme il s'en doutait. Shiraad ne faisait rien à moitié. C'était l'une de ses plus grandes qualités !

     Aljinan se rappela ce jour où il avait vogué jusqu'au continent sud. Un pur hasard ! Ignare en navigation, à l'époque, il avait remis son destin dans le tumulte des courants marins. Quand il toucha terre à Ab-Narh'boul, ce fut le futur capitaine Shiraad qui le recueillit. En vérité, une tempête avait fait chavirer sa coque de noix, et il s'était échoué sur la plage. Qui aurait cru que l'élégant propriétaire du Vaillant n'était qu'un va-nu-pieds aux vêtements rapiécés ? Cette histoire remontait à bien trente ans !

     Les choses avaient bien changé depuis. Jinan était devenu Aljinan, et Shiraad ne se promenait plus sans un pourpoint bien ajusté. Regarder tout le chemin parcouru le ramena à un présent plus sombre encore. Difficile de déterminer à quoi ressemblerait l'avenir, pour sa fille, pour Port Lumis, voire pour la sphère mortelle elle-même.

     Assez de lamentations ! Aljinan attrapa le dernier registre et l'étudia minutieusement. La belle écriture de Shiraad n'avait rien omis. Il nota avec un sourire la naissance de deux petites filles, et regretta le décès d'un grand-père. Quelques-uns avaient été expulsés du port, pour motif de rejet du principe de neutralité. Ceux-là n'avaient sans doute pas réussi à laisser leur patrimoine derrière eux : langue, coutume, idéaux. C'était dommage, mais il ne les en blâmait pas. Il exigeait beaucoup de chaque citoyen, et il connaissait la difficulté de se plier à ces règles, souvent perçues comme injustes. Injustes, peut-être, cruelles, certainement, mais indispensables pour leur mode de vie.

     Il remarqua que la quasi-totalité des pirates avaient pris l'air ou la mer. Le barrage arcan était sans doute pour quelque chose. Avec un peu de chance, ils reviendraient avec les cales pleines. Mince, il faudrait vraiment songer à un autre système de rémunération ! Si la cité continuait de grossir, il serait de plus en plus difficile de vivre de pillage... et de conserver le soutien de Celtica. Le gamin comprenait leur façon de faire, mais il ne l'approuvait pas. Une fois assis à la place du paternel, il n'hésiterait pas à leur tourner le dos...

     Non ! Il ne devait pas voir aussi loin. Pas tout de suite. Pour le moment, Méliade restait sa priorité.

     On frappa à la porte et on l'ouvrit.

     — Chef ! s'écria Samida. T'es enfin de retour !

     — Pas pour longtemps, malheureusement. Je vois que vous vous êtes bien dépatouillé en mon absence... Par contre, j'ai pas vu le registre de la dernière réunion.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant