27 La visiteuse (3/3)

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     Agenouillé au milieu d'un fatras d'objets disparates, Vlad farfouillait dans chaque tiroir. L'antichambre qui gardait l'entrée des appartements du prince héritier n'était autre qu'un immense débarras. Celtica y entreposait ses affaires, de ses premiers jouets jusqu'à l'armure qui lui avait été offerte à son dernier anniversaire. Véritable témoignage de toute une vie ! Le jeune homme n'y recevait jamais personne, ceci expliquait sans doute cette transformation progressive en entrepôt...

     Vlad déplaça une pile de vieux livres que la famille impériale donnait à lire à ses enfants, et posa à la place un tas de rouleaux. Rien que des dessins... Il découvrit parmi eux un des premiers portraits réalisés par le prince. Une tête bien ronde, des yeux globuleux, une longue chevelure jaune... Pas de doute, il s'agissait du marquis ! Au fil des ans, il s'était grandement amélioré, comme en témoignait le portrait de son mariage qui trônait dans son salon.

     Le marquis s'arracha à sa contemplation et dénicha dans un nouveau tiroir des bijoux masculins, que le prince ne portait pas. En fait, il n'arborait que sa chevalière, et lors d'occasions très précise, une couronne en fils de cuivre tressés. C'était tout. D'un autre côté, ce prince coquet ne parvenait pas à se débarrasser de son parfum, et ce, même en voyage ! Une particularité qui participait à sa légende. Dans tout le pays, les nobles ne discutaient que de cela ! Le prince parfumé, le surnommait-on. De plus en plus de jeunes gens tendaient à l'imiter, et dépensait des sommes folles en huiles capiteuses et autres fragrances rares... Quitte à cocotter ! Les jeunes dames ne se privaient plus de se moquer de leurs prétendants, et toutes s'accordaient à dire que seul le prince savait porter sans excès les arômes les plus délicats.

     L'inspection du meuble terminé, Vlad se releva et regarda le désordre, les poings sur les hanches. Il n'y était strictement pour rien ! Dès son arrivée, la pièce l'avait accueilli... ainsi ! S'il ne connaissait pas aussi bien son petit protégé, la vision de l'antichambre encombrée lui aurait causé des sueurs froides. Ces pièces, normalement, servaient à recevoir des visiteurs, à organiser des petites réunions mondaines, à s'adonner à d'innocents jeux de séduction en petit comité. Pas à... ça !

     Veillant à ne rien piétiner, ce qui se révélait être un petit exploit, le marquis évoluait en toute prudence vers la chambre du prince. Les sanctions de Son Excellence avaient tout de même un bon côté : ses visites régulières au palais lui octroyait un temps précieux pour mener son enquête discrète. Il ne lui était pas interdit d'errer dans les pièces privées du prince, il ne craignait aucune punition.

     Le marquis pénétra enfin dans les appartements. Il s'agissait d'une grande pièce, un hybride entre salon, bureau et chambre à coucher. L'empereur en occupait une plus vaste encore. Pour se rendre dans de tels lieux, un accord oral du propriétaire suffisait, mais les occasions demeuraient exceptionnelles. L'empereur n'autorisait que sa famille chez lui, et, à sa connaissance, Celtica personne. Personne, sauf le marquis lui-même, et l'empereur, évidemment. Une poignée de serviteurs, triés sur le volet, pouvaient y faire le ménage.

     Une odeur florale flottait dans l'air, fraîche et légère. Les serviteurs garnissaient les placards de petits sachets odorants, destinés à garder le linge frais et sec, tout en éloignant certains insectes avides de fibres. Les paysans préféraient aérer les pièces, qu'il pleuve ou qu'il vente. Même en plein hiver. Habitude que gardait Sanra. Mais dans le château, elle n'aurait plus l'occasion de maintenir ce rituel... En espérant que Son Excellence ne fasse pas trop durer la punition ! Il lui tardait de retourner chez lui. Même Brise-fer s'ennuyait là-bas !

     À la vue du parquet ciré et de l'épais tapis, Vlad retira ses bottes. Le canapé princier attendait sagement le maître des lieux, face à une cheminée massive. Sur la tablette, un vase de fleurs automnales dominait la pièce, altier. La hotte accueillait le portrait d'une jolie dame aux cheveux noirs et au sourire bienveillant. Feu Yéline de Noblargent, impératrice et mère de Celtica. Une grande dame, aussi généreuse qu'intelligente. Elle n'eut pas le temps de mettre au monde un autre petit prince ou petite princesse... Mérénos se montrait souvent bien cruel.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant