15 Le chef de Port Lumis (1/3)

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     Aljinan le plaqua violemment contre le mur.

     — J'le répèterai pas deux fois ! Où est l'Épervier ?

     L'homme lui lança un regard torve, lui cracha à la figure. Très mauvais choix. Le chef de Port Lumis le souleva et le jeta à terre, parmi les autres brigands qui gémissaient de douleur en se roulant sur le sol. Ils étaient tous armés, mais ils ne savaient pas se défendre. Entrer ici avait été d'une facilité déconcertante. Cette bande de raclures s'était installée en Augustrie, persuadée qu'elle y serait à l'abri de la famille d'Arcane et des problèmes. C'était sans compter Aljinan !

     Le Lumissien marcha calmement entre ses malheureuses victimes qui n'avaient absolument pas prévu sa visite, et ramassa sa proie par le col, sans faire de sentiments.

     — On veut toujours pas parler ?

     — Qu'est-ce que tu lui veux ? articula-t-il, essoufflé.

     — Ça, ça m'regarde.

     — Je dirai rien.

     Aljinan savait que c'était perdu d'avance. Il n'était pas du genre à torturer pour obtenir les informations, mais il possédait d'autres outils plus convaincants. À nouveau, il l'entraîna à travers la pièce, le souleva et l'accrocha par le col à une applique murale, solidement fixée au mur. L'homme se débattait, agitait vainement ses jambes. Comme il était ridicule !

     Aljinan enjamba l'un des mercenaires pour attraper une chaise, l'installa devant son prisonnier, et s'y assit, le dossier contre la poitrine. Il commença à croquer dans la pomme qu'il leur avait volée.

     — Qu'est-ce que tu va faire ? s'écria le mercenaire.

     — Moi ? J'vais attendre qu'tu t'mettes à table. Bien tranquillement. Il fait chaud, y'a de quoi manger et boire, et j'suis en forme. J'ai tout l'temps d'attendre !

     L'homme le dévisagea, de la haine dans le regard. Il tentait de l'impressionner, mais il avait juste l'air d'une misérable mouche piégée dans une toile d'araignée. Aljinan en eut presque de la peine. Presque. Sa fille était en danger perpétuel et son fils agissait comme un imbécile. Alors, il ne débordait pas vraiment de compassion.

     Il avait réussi à passer entre les mailles du filet lancé par Hayne, et se rendre jusqu'ici, à Verteville, relevait quasiment de l'exploit ! Les Augustriens étaient nerveux, l'armée arcanne à la frontière faisait naître des angoisses et de nouvelles méfiances vis-à-vis des étrangers. Ils avaient renforcé le contrôle des voyageurs. Aljinan avait été assez malin pour emporter suffisamment d'argent pour graisser la patte de ces pauvres gardes royaux sous-payés. Les dirigeants n'avaient pas le même visage, mais la misère restait partout pareille. Au moins, il avait pu venir sans trop de difficultés.

     Lorsqu'il eut finit sa pomme, Aljinan jeta le trognon par-dessus son épaule. Le cri étouffé d'un des mercenaires gisant au sol l'informa que le déchet était bien retombé.

     — Où est l'Épervier ?

     — En quoi ça t'intéresse ?

     L'imberbe haussa les épaules, et se leva. Il avisa une cruche remplie de vin à l'odeur âcre, la saisit, la lança de toutes ses forces contre la porte où elle se brisa et répandit son contenue. Des gémissements accompagnèrent le bruit des débris. Mais Aljinan n'en avait cure. Ces hommes le répugnaient. Il les avait longuement observés, il les avait vues, ces femmes, brisées après leurs jeux macabres, mettre fin à leur jour. Le chef du port n'était pas un enfant de chœur, loin de là, mais il ne concevait pas qu'on puisse trouver la jouissance dans la violence et l'humiliation. Au nom de leurs victimes, passées et à venir, il ne passerait pas l'éponge.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant