36 La Tarentule, le Zombie et l'Oubli (2/3)

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     Le fouet cingla l'air. Sa chair. Sa résolution.

     Aljinan serrait les dents. Depuis deux jours, Hayne n'avait pas reparu, mais les séances de tortures et de soins se succédaient, inlassables. Le prince éprouvait sa résistance. Elle se lézardait, cela ne faisait aucun doute. La douleur, piquante, insolente, exigeante, le maintenait dans un état d'alerte inconcevable. Son corps entier guettait et redoutait la prochaine morsure.

     Sa robe de bal s'agrémentait à chaque rendez-vous de nouvelles broderies sanglantes, d'élégants motifs violets d'une touche de parfum âcre et amer. Puis, lorsque la soirée morbide s'achevait, on le conduisait dans un salon où l'on lui retirait jalousement ses nouveaux atours pour lui enfiler sa tenue de prisonnier. Et à minuit, le charme prenait fin, sans que le prince charmant ne daigne se montrer.

      Les bourreaux se succédaient aussi. Il en comptait trois, chacun avait ses manies, sa façon de procéder. Mais aucun n'excellait dans la douceur ! L'apprenti n'assistait pas toujours aux séances. La plupart du temps, il préparait les outils, les nettoyait, lavait le sol et les murs avec une rare minutie. Hayne ne tolérait aucune trace, ne serait-ce que celle de la moisissure. Garder ses suppliciés en bonne santé figurait dans ses priorités.

     À nouveau, le fouet vola sur sa poitrine, son ventre, ses jambes. À nouveau, la douleur explosa en lui. Combien avait-il reçu de coups aujourd'hui ? Il en avait perdu le décompte depuis longtemps. Le claquement sec, la réaction épidermique de sa pauvre enveloppe charnelle mesurait une nouvelle unité temporelle. Les nuits et les jours n'avaient plus cours, il ne restait que la lumière intense et cruelle des lumilithes concentrées dans les moindres recoins. L'ombre, rongée, n'existait plus. Tout comme le repos.

     Aljinan redoutait de sombrer dans la folie. Le sommeil qu'on lui refusait était comme une friandise qu'on lui retirait à la dernière seconde. Un supplice inhumain. Il restait encore dans ses veines les effets de la dernière potion d'avale-sommeil, une préparation dont il se gavait lorsqu'il avait trop de travail à abattre. Arkh le lui reprochait continuellement, mais il ne l'avait jamais écouté. Pour une fois, le sort lui donnait raison. Sans cette fichue mixture, aurait-il résisté aussi longtemps à toute cette maltraitance ?

     Il pensa à son port, à ses amis, à ses enfants. Même eux, tout ce qui comptait à ses yeux, n'offraient pas même un îlot de répit. Dès qu'il s'y plongeait, la douleur le ramenait sur des rivages plus durs. La réalité. La souffrance. Lancinante. Traînante. Bientôt, il perdrait la maîtrise de ses mots. Il rougissait déjà des cris qu'il laissait échapper, alors avouer un crime qu'il n'avait pas commis ! Ou pire, trahir ses plus proches collaborateurs ! Port Lumis s'effondrerait si ses piliers s'effritaient. Ce n'était plus qu'une question de temps !

     Le temps... Une dimension qui n'existait plus. Jamais il n'aurait cru que ce flot continu puisse se tarir un jour ! Il n'y avait que le fouet, le sang, la lumière.

     — Tu m'ennuies, déclara le bourreau.

     Une voix âpre, rugueuse à l'oreille. Aljinan en frémit de dégoût.

     — Navré, répondit-il. Je tâcherai d'y mettre un peu plus de cœur la prochaine fois.

     — Tes sarcasmes te conduiront nulle part.

     — C'est pas faux. Mais ils ont le mérite d'exister.

     L'homme grimaça. Sa figure sévère s'orna d'un sublime froncement de sourcil. Ses bajoues s'agitèrent lorsqu'il secoua la tête. Visiblement, Hayne nourrissait bien ses tortionnaires, celui-là devait passer l'hiver bien à l'abri du besoin. Il se saisit d'une pince en parfait état et lui attrapa le pied.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant