Recroquevillé sur le lit, les genoux contre la poitrine, Eickœs méditait. Altarf l'avait amené à l'Oubli, sans vraiment lui expliquer pourquoi. Puis, il était reparti, aussi vite qu'il était venu. La lumière intense qui régnait en ces lieux lui donnait un profond mal de tête. Le sommeil, amant hypocrite, le délaissait.
Posé à une brassée de lui, la pointe d'Ironie luisait sinistrement. Depuis qu'il l'avait abreuvée de son sang, elle arborait une couleur sinistre, rougeâtre. Il se souvenait des taches brunes, laissées par les coupures de son propriétaire légitime, elles ne ressemblaient en rien à ces arabesques. Elles grignotaient inlassablement la nacre pure comme les rivières érodent les terres. Elles s'étendaient de jour en jour, chassaient le blanc sans état d'âme.
Lorsqu'il ne la touchait pas, les spectres ne hantaient plus l'Épervier. Pourtant, il savait qu'ils se mouvaient quelque part, ces milliards d'yeux. Qu'avait dit Altarf, déjà ? Sa peine ? Il ne comprenait pas, en quoi serait-il peiné ? Sa mémoire lui jouait des tours. L'attaque de Port Lumis avait échoué, il avait affronté Celtica et un oiseau immonde, mais comment ? Tout était flou, comme un songe éveillé. Était-ce avant ou après avoir discuté avec Cléon ? À quel moment avait-il rencontré dame Leina Larive, dans quelles circonstances ?
Il observa son moignon, circonspect. Ses souvenirs se refusaient à lui. Il avait eu deux mains, auparavant. Quel accident, quelle terrible rencontre lui avait coûté celle-ci ? Une douleur sourde, lointaine battait sous sa peau claire. Translucide, même. On eût dit du papier de riz !
Des coups à la porte interrompirent le flot de ses interrogations. Un garde à la tenue impeccable se présenta. Méprisant, il ne lui adressa que l'ombre d'un coup d'œil et lui fit signe de le suivre. Eickœs obéit sans la moindre question. Enfin on le conduisait à Hayne ! Sans doute saurait-il éclairer sa lanterne. Il glissa Ironie dans sa poche, frémit lorsqu'apparurent brièvement les milliards d'yeux.
Les couloirs semblaient froids, le personnel ne se promenait pas sans une écharpe nouée autour du cou, ou un châle sur les épaules. Pour sa part, Eickœs suait à grosses gouttes. La fièvre, peut-être ? Sans doute avait-il pris froid sous la pluie. Néanmoins, il ne pouvait se résoudre à fermer sa chemise. La tenue n'était pas décente, mais son contact le démangeait.
Au plus haut de la forteresse, l'homme frappa à une porte et annonça le Lumissien. Le prince laissa entrer l'un, congédia l'autre.
Assis près d'un garçonnet intimidé, Hayne souriait. Le sourire de chasseur, pas d'un ami. Prudent, Eickœs s'avança de quelques pas et exécuta une révérence. Précise et mécanique.
— Tu me sembles en forme, Épervier. Parviens-tu à t'adapter à ta nouvelle volière ?
Eickœs coula un regard vers l'enfant. Il sursauta et se blottit contre le prince.
— Oui, Votre Altesse, s'empressa-t-il de répondre.
— Bien. Je peux encore l'aménager selon tes goûts. Je te présente Sarow, l'enfant dont tu as brisé la mère.
Le Lumissien frémit. Cela, il s'en souvenait. Bien qu'il tienne ses ordres du prince, il serait l'éternel coupable. Quel serait le châtiment de son crime ?
— Il apprend l'arcan, poursuivit le prince, et ses capacités magiques sont édifiantes. Il est intelligent et volontaire, j'ai donc décidé de le garder sous mon aile. Je lui offre un avenir, celui que tu lui as ravi.
Déconcerté, Eickœs déglutit. Hayne tapota doucement sur la tête de l'enfant. Cette soudaine tendresse le fit frémir. Les caresses ne changeaient pas le tigre en chat, le fauve marquait son territoire en y apposant ses griffes.
VOUS LISEZ
Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du Feu
FantasyDe l'autre côté de la voûte céleste Chantent les étoiles. Elles content une querelle millénaire qui oppose les dieux. Une fabuleuse épée, Ironie, est au centre de toutes les préoccupations, car son nom est synonyme de destruction. Pour retarder l'in...