28 Les festivités (1/4)

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     Le goutte-à-goutte incessant lui tapait sur les nerfs.

     Le froid et l'humidité ambiante lui tapait sur les nerfs.

     La somptuosité de cette femme lui tapait sur les nerfs.

     Face à lui, l'Ancienne ne baissait pas le regard. Malgré les coups infligés par le bourreau, elle demeurait d'une perfection divine. Ses plaies se résorbaient d'elles-mêmes, sa peau recouvrait son éclat naturel. Elle ne se nourrissait presque plus mais l'état de son corps ne suggérait pas sa souffrance. Ses yeux s'exprimaient à la place de sa voix. Elle ne pleurait pas, ne souhaitait pas sa mort. Mais une inquiétude sincère dansait dans ses prunelles. Et sur ses lèvres, deux mots. Mon fils. Mon fils.

     Eickœs s'en fichait bien de son fils ! Il ignorait ce que prévoyait Hayne, et c'était bien le cadet de ses soucis ! Cette tentatrice le troublait. Intolérable ! Elle éveillait en lui des désirs impurs, lui qui s'enorgueillissait tant de sa droiture !

     Sans peur, elle plantait son regard droit dans le sien. Sans trembler. Sans gémir. La gamelle remplie d'une bouillie infâme traînait devant elle. Intacte.

     — Tu vas mourir, si tu ne manges pas.

     — Où est mon fils ?

     — Mais je n'en sais rien ! Il pourrait pourrir au fond d'une douve que cela ne changerait rien au fait que tu vas mourir si tu ne manges pas !

     — Je ne reverrai plus mon fils, déclara-t-elle avec un étrange détachement. Je suis à ta merci, à quoi bon continuer ?

     Deux bonds et Eickœs tint entre ses doigts le superbe visage de Méliade. Ses deux perles de saphir ne l'imploraient pas, ses lèvres pulpeuses ne formèrent aucune supplique. Malgré l'absence de soins, ses cheveux demeuraient souples et soyeux. Sa peau exhalait un délicieux parfum épicé. Ce contraste avec la pestilence ambiante ne cessait de le surprendre. Ne connaissait-elle donc pas la souillure ? Il eut une folle envie de l'embrasser. Quelque chose lui disait qu'elle ne lui résisterait pas.

     Hayne la lui laissait. Entièrement. Jamais il ne s'était présenté dans la salle de torture depuis sa capture. Tout ce qu'il voulait, c'était qu'il la dompte. Qu'il l'utilise pour reprendre Port Lumis. Les cités de l'Est de l'Augustrie tombaient les unes après les autres. Le pays entier serait conquis avant la fin de l'hiver. Mais pas si les rebelles s'agitaient. Si Aljinan était absent, comme le prétendaient les rumeurs, il doutait que les Lumissiens se soulèvent sans lui. Il savait aussi que Faranan Yréan avait été emporté au Brasier, ce qui valut à Hayne de terribles remontrances du roi. Il le traita une fois d'incapable. Il ne recommença pas.

     Le père et le fils s'affrontaient souvent, mais Hayne gagnait sur tous les terrains et tous les soutiens. Jesd craignait son héritier, tout le monde le voyait. Depuis l'insulte, les sujets murmuraient entre eux, s'inquiétait ou nourrissait l'espoir d'une vengeance princière. Mais Hayne restait maître de lui-même, impassible, courtois et déterminé. Ses récentes victoires forgeaient l'admiration, générait même une forme de fanatisme. Les fils aînés des plus grandes familles se battraient même pour tenir la lame qui trancherait la gorge du roi, s'il le suggérait. Annya au Brasier, Hayne en Arcane. Le pays jetterait alors son lustre sur le monde.

     Eickœs se désintéressait de la politique. Seul Port Lumis, seule Cléon méritaient ses efforts ! De toutes ses forces, il gifla l'Ancienne qui s'écroula sans un cri. Elle ne lui accorderait même pas cette satisfaction ! Il la saisit au col et la souleva. Nez contre nez, il avait plus que jamais conscience de sa domination. C'était grisant. Vraiment. Quoi qu'il fasse, elle restait sans défenses.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant