02 Le maître du chaos (2/3) [V.2]

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     Plus aucun garde ne restait debout pour défendre la noblesse amassée.

     Grandiloquent, l'homme au cou de taureau rengaina ses cimeterres, se rendit près du banquet, attrapa le verre refusé par Celtica et le vida d'une traite. Son regard de fauve se promena sur leur petit groupe. Le sang du prince se glaça. Il pensait rencontrer les yeux d'un fou, pas ceux d'un homme parfaitement maître de lui-même !

     À la faveur du calme revenu, le jeune homme aperçut une fine ligne blanche qui barrait la joue gauche de l'imberbe. Le vestige sain d'une plaie correctement soignée. Sans doute avait-il eu accès à un excellent médecin, ce qui supposait de grands moyens. L'ampleur de l'attaque semblait corroborer cette déduction...

     — C'est l'un d'tes meilleurs vins ?

     Faranan hocha la tête.

     — Pas fameux.

     Il fit mine de vouloir reposer la coupe, mais il se ravisa au dernier moment. Comme un enfant qui éprouve les limites de l'autorité parentale, il fixa le gouverneur dans les yeux. Et écarta les doigts. Le verre se brisa sur le sol en une myriade d'éclats, arrachant des plaintes aux nobles et aux serviteurs.

     — Oups.

     Le feu aux joues, Celtica serra la main de son père. Que cherchait-il ? Il tenait entre ses doigts le destin des deux plus grandes nations du monde, qu'attendait-il pour mettre à exécution ses plans ?

     Le jeune homme s'efforça de retrouver un rythme de respiration normal. L'estomac noué et l'esprit embrouillé, ses idées luttaient et s'engluaient dans une toile d'angoisse. La débâcle des hommes de Faranan ne constituait en aucun cas une surprise, mais l'absence de la garde royale et impériale, ou encore la passivité de l'Ordre Zodiacal lui glaçait les sangs. Assistait-il à une tentative de soulèvement ? Entendait-il sonner la fin de la dynastie des Noblargent ?

     D'un pas chaloupé, l'imberbe s'avança au cliquetis de ses pendants d'oreille. Une vie entière passée sur un navire ou un vaisseau trahie par cette démarche fréquente chez les gens de mauvaise vie. Était-il pirate ? Contrebandier ? Le colosse ne s'arrêta qu'à quelques pas d'eux, plongea sans crainte son regard d'ambre dans les yeux d'acier de son père. Le feu dans la glace.

      — Mes hommages, fit-il en inclinant respectueusement la tête.

     Une voix profonde, puissante, qui ne tolérait aucune contestation. Elle était la marque des grands chefs, de celles que l'on écoutait, que l'on suivait. Dans d'autres circonstances, Celtica se serait délecté d'un de ses discours. Mais en ce moment, il avait la vertigineuse impression d'attendre le verdict du juge, en faveur de son exécution.

      — Mes hommages... ? Comment convient-il de vous appeler ? Votre Altesse ? Votre Altesse impériale ? Votre vénérable grandissime Altesse impériale ?

     — Ou plus sobrement par notre prénom, avança Exodica.

     — J'aime autant ça. Va pour Exodica.

     Il se tourna vers Celtica. L'estomac du prince se tordit, la nausée l'envahit. S'il avait contenu quoique ce soit, il aurait sans doute vomi copieusement. Par une triste chance, il s'avérait vide.

     — C'est vot' môme ?

     — C'est exact.

     — Il a vos yeux et votre nez. Je suppose que tu tiens ta bouche de maman, hein ? Un bien joli gamin. T'en fais pas, si papa négocie bien, vous s'rez bientôt libres. J'ai deux gosses, moi aussi. Ma fille doit avoir ton âge, à peu près, mon fils est peut-être un peu plus vieux. Une plaie, les gamins, hein ? Toi aussi, tu fais tourner papa en bourrique ? Ça fait ça aussi, les mômes impériaux ?

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant