41 Le prince parfumé (1/3)

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     — Risha, mon brave Risha ! Tu es tout seul ? Où sont ton frère et Lesath ? Tu n'es pas avec l'empereur ?

     Occupé à tisser, le Poisson n'avait pas entendu entrer Zavijava. Deux de ses immondes poupées la suivaient comme leur ombre. Rien d'inhabituel, en somme. Par contre, resté sur le pas de la porte, Elnath bouillonnait d'une colère sourde. Et sa présence constituait une situation inédite. Risha ne portait pas le Taureau dans son cœur, toujours à s'enrager pour un oui ou un non, à détruire le mobilier, à saccager ce qui lui passait sous la main. Il avait déjà défiguré des serviteurs dans ses fulgurants accès de colère.

     — Mon frère se trouve avec son maître, Lesath est en quête de tranquillité, sa tête le fait atrocement souffrir aujourd'hui, et Son Excellence se recueille sur la tombe de son épouse. Que me vaut ta visite ?

     La Vierge ne répondit pas tout de suite et s'approcha du métier à tisser. Son éventail tranchant s'agitait devant son visage inexpressif de métal, ses pantins et Elnath restèrent à leur place, bien sages.

     — Tu tisses ! s'écria-t-elle.

     Risha caressa du bout des doigts sa toile. Le débarras était l'un des rares endroits où il pouvait vaquer à ses occupations sans craindre d'être dérangé. Ainsi, il s'y dépouillait de son armure et profitait des sensations dont il se privait quotidiennement.

     — Cela me rappelle Maman, avoua-t-il dans un murmure.

     — Elle ne pense plus à toi. Tu n'as jamais existé, pour elle, tu le sais.

     — Hélas ! Je le répète, que me vaut ta visite ?

     — Je viens échanger quelques informations. Elnath, ferme la porte et rejoins-nous.

     Le Taureau claqua la porte et d'un pas lourd, déterminé, combla la distance qui les séparait. Mal à l'aise, Risha eut un mouvement de recul.

     — Sabik n'est pas ici, poursuivit la Vierge. Nous pouvons parler en toute quiétude.

     Comme pour appuyer ses propos, le Taureau donna un violent coup de poing dans un vase. Si le Serpentaire se trouvait dans cette pièce, les élans de colère de leur camarade auraient quasiment disparu. Sabik absorbait une partie du prix qu'ils payaient à leurs maîtres en échange de leur âme. Bien souvent, il constituait un véritable bol d'air frais. Puisque même les démons demeuraient bien incapables de localiser leur chef lorsqu'il se rendait invisible, ils employaient Elnath comme instrument de détection.

     — Tu n'es pas sans savoir que ton frère a caché Ironie, n'est-ce pas ?

     Risha plissa les yeux, méfiant. Les fourberies de la Vierge n'avaient plus de secrets pour lui, il subodorait un piège.

     — Oui... Sous l'injonction de Sabik. Où veux-tu en venir ?

     D'un geste, Zavijava déploya son éventail dans un claquement sec, puis l'agita devant son visage, conspiratrice.

     — Sais-tu pourquoi il ne l'a pas ramenée au Brasier ?

     — Je n'ai pas osé lui demander. Je suppose que Mérénos...

     — Oui, Mérénos. Ton frère craint son maître, et à raison. Là-bas, au sanctuaire d'Araane, elle est en sécurité. Et si elle coule des jours paisibles, ton frère aussi. Ne les entends-tu pas ? Les Astres.

     Risha leva les yeux vers les poutres. Au-dessus se dressait le toit, et au-delà, la voûte céleste. Même en plein jour, les petites clochettes frémissaient. Cependant, le Poisson restait sourd à leur mélodie. Un comble pour un musicien !

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant