42 Les plaines du septentrion (2/3)

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      De la blancheur à perte de vue. Les conifères abandonnaient le territoire aux herbacés graciles, qui levaient leurs bras maigrelets vers le ciel. La flore rachitique donnait à la contrée des allures de plaines dévastées. Le vent soufflait le froid et entraînait parfois des poussières glacées dans de folles farandoles. Comme promis, ils avaient délesté leur bœuf laineux de sa cloche en quittant les bois.

     Ils marchaient déjà depuis plusieurs heures, les deux Walkyries avaient perdu de leur frivolité. Comme des félins retournés à l'état sauvage, elle restait à l'affût. Leurs consœurs pouvaient se dissimuler partout, derrière chaque monticule, chaque arbrisseau. Elles scrutaient le ciel, nerveuses. Cléon se demandait ce qu'elles y recherchaient. Un signe du temps, peut-être ? S'en servaient-elles pour déterminer les mouvements invisibles du vent ? Coxa suivait leur procession d'assez loin, pourtant son ombre semblait toujours peser sur eux.

     Le groupe s'arrêta au milieu de la journée pour se restaurer, puis repartit sitôt que Tramo montrât des signes d'impatience.

     Dans l'espoir que Celtica se rapproche de Vlad, la Lumissienne délaissa un peu son prince pour s'intéresser à Telnim. Il semblait un peu plus âgé que son père, mais sa démarche alerte renseignait sur son excellente condition physique. Aimable en tout temps, il possédait une élégance innée, qu'elle n'avait encore entrevue chez personne. Une force paisible sommeillait au fond de son être, une entité protectrice qui jaillirait au moindre danger. Son intuition lui chuchotait qu'il était bien plus qu'un humble maître d'armes.

     Comme s'il se savait épié, le Brasien se tourna vers elle pour lui offrir un sourire charmant. Cléon allongea ses pas pour se retrouver à sa hauteur. Il émanait de sa personne une telle bienveillance qu'elle se sentait en parfaite sécurité.

     — Mademoiselle Xiàzù, nous n'avons pas encore eu le plaisir de converser. Le Nord n'est pas trop hostile ? Le froid doit te changer de Port Lumis.

     — Je n'aime pas la neige, avoua-t-elle. Vous... Tu connais la cité ?

     — Et je la connais bien.

     — Je ne t'ai jamais vu...

     Telnim lui fit un clin d'œil. Il n'en dirait pas davantage, comprit-elle.

     — Tu crois que Celtica et Vlad vont s'ignorer encore longtemps ?

     — Aucun risque.

     Le maître d'armes marqua un silence, soudainement devenu attentif. Ses yeux perçants parcoururent les alentours, recueillirent autant de détails que possible. Quelque chose devait le chagriner, mais Cléon ne vit rien que de la neige et des étranges plantes décharnées. Puis un sourire réapparut sur son visage affable.

     — Un renard, sans nul doute, s'excusa-t-il. Vlad-Alexeï éprouve souvent des difficultés à exprimer ses émotions. Il considère encore Celtica comme un enfant, vous surprendre a dû lui causer un choc.

     Cléon grimaça. Ainsi donc, le marquis l'avait crié sur tous les toits... Pas étonnant avec une telle délicatesse !

     — Si je connais très bien ta cité, j'ignore tout des mœurs qui la régissent, poursuivit-il sur un ton badin. Je ne peux cependant balayer les allants du cœur de notre protégé. Ce serait lui manquer de respect, et te manquer de respect à toi. Seulement, les choses auraient sans doute été plus simples s'il avait été marié. Si vous vous étiez rencontré après l'équinoxe d'automne, nous aurions sans doute tous célébré votre rapprochement, mais vous avez tous les deux rendu la situation délicate.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant