36 La Tarentule, le Zombie et l'Oubli (1/3)

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     Un torrent glacé le submergea. Du sommet de son crâne jusqu'au bout de ses pieds, l'eau ruisselait, mordait, griffait sa peau à nu. Il battit des paupières, chassa la cascade de ses yeux. Devant lui, se tenait le tigre. Mains dans le dos, tenue impeccable, cheveux corbeau attachés à l'arrière de sa tête, il incarnait la patience-même. Un petit homme vêtu de noir et d'un tablier moisi se recula contre le mur.

     — Oh Aljinan ! Permettez-moi de vous tutoyer, nous nous affrontons depuis si longtemps, nous sommes presque amis à présent.

     — Comme il te plaira.

     Le sourire qu'affichait le prince n'avait rien de chaleureux. Ni d'amical. Les mains qu'il cachait n'avaient rien d'innocent. Ni de léger. Ses yeux, braqués dans les siens, s'évertuaient à lire en lui. Mais Aljinan n'était pas un fichu bouquin !

     — Combien de temps penses-tu encore résister ? Tu avoueras tes crimes, tôt ou tard.

     — Je serais curieux d'entendre ta confession à toi.

     Aljinan poussa un cri de douleur. Le bourreau venait d'abattre son fer chaud contre son ventre.

     — Cela ne m'amuse plus, Aljinan. La diffamation est un crime puni par la couronne.

     — Le mensonge et la tromperie aussi.

     Un nouveau coup, un nouveau cri. Le chef asservi serra les dents et les paupières. La douleur passera... La douleur passera ! Attaché contre le mur humide et rugueux, les quatre membres enchaînés et étirés au maximum, il peinait à contrôler sa respiration. Sa poitrine, sous l'impulsion de son cœur - ce traître ! - désirait se soulever à toute allure. Ainsi le consumait-il telle la mèche d'une bougie.

     Fier, il leva la tête, bomba le torse.

     — Et qu'en est-il du meurtre ?

     Un léger spasme agita l'encoignure des lèvres de Hayne. Le fer s'abattit sur son aine, plus fort, plus longtemps. La douleur explosa, l'emporta dans une ivresse morbide. Ses cris, ses misérables cris, s'entrechoquèrent entre les meubles contre-nature et les objets tout droit sortis d'un esprit sordide. Ça empestait le fer, le sang, la mort. Un second bourreau, à peine pubère, s'occupait du tison. Un apprenti, en somme. Le métier de tortionnaire nécessitait de longues et fastidieuses études pour arracher des cris. Quant à la vérité...

     Le fer brûlant s'envola, Aljinan chassa ses larmes. S'il existait un dieu de la douleur, il doutait fort qu'une de ces créatures eut été suffisamment retorses pour Rêver du plaisir de procurer de la souffrance. C'était un vice humain, à n'en point douter !

     — Nous reprendrons plus tard. Ramenez-le dans sa cellule, veillez à ce qu'il se nourrisse et se désaltère. Aljinan.

     Hayne le salua d'un gracieux mouvement de tête et s'engouffra dans le couloir. Les bourreaux échangèrent un regard soulagé. La pression s'éloigna avec le prince. L'étau sur sa poitrine se desserra, Aljinan respira. Enfin lucide, il observa les deux bouchers s'affairer à nettoyer leurs instruments démoniaques. Ils devaient être un peu démonistes, au fond...

     L'imberbe se considérait comme chanceux. Sa tenue de travail se constellait de taches malvenues et d'accrocs indélicats. Mais elle demeurait encore entière. Ce soir, on lui fournirait de l'onguent en même temps que son repas. Hayne tenait à ce qu'il reste en bonne santé et longtemps. Aljinan se sentait précieux. Un petit diamant qu'on martyrisait et dorlotait tour à tour.

     Éclairée par de puissantes lampes à lumilithes, la pièce n'offrait aucune intimité. La lumière crue frappait un fauteuil qui n'était pas un trône, une table qui ne servait pas aux repas, un chevalet qui ne recevait aucune toile. Le petit fourneau protestait en sifflant contre l'extinction de son feu. Armé d'une éponge et d'un seau d'eau glacée, le gamin s'attaqua aux blessures du prisonnier. Aljinan grogna. Ce qu'il avait pris pour de l'eau dévoila son vrai visage : une horrible lotion destinée à le faire souffrir davantage ! Consciencieux, l'apprenti promena son éponge sur chaque parcelle de sa peau, s'acharna à en raviver chaque petit foyer. L'incendie durait encore lorsqu'on le détacha et le ramena dans sa cellule de prison.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant