14 Amertume (3/3)

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     Advienne que pourra ! Cléon chargea, tenant fermement sa dague d'une main, le pistolet alchimique de l'autre. L'Épervier fit quelques pas en arrière et brandit devant lui Ironie pour se protéger. Mais un violent haut-le-cœur la coupa nette dans son élan. Elle porta le dos de sa main à sa bouche sans lâcher ses armes. Elle tremblait. D'où venait son malaise ? Avait-elle présumé de ses forces, la fièvre était-elle arrivée plus tôt qu'escompté ?

     Non ! Non, non et non ! Ce maudit corps ! Elle tomba à genoux, trop faible pour conserver la station debout. Elle leva des yeux pleins de rage sur son frère. Il affichait un sourire triomphal ! Et dire qu'elle y était presque ! Le Lumissien lui fit un signe de la main, comme pour la saluer, puis tourna tranquillement les talons. Il s'éloignait en sifflotant, comme si tout n'avait été qu'un jeu innocent !

     Cléon leva son bras tremblant et visa le dos de l'Épervier. Même si elle ne l'atteignait pas, la détonation aurait un goût de satisfaction. Elle tira. Eickœs roula sur le côté et s'enfuit en boitillant, sortit du marché couvert.

     Alors qu'il disparut, son malaise s'évapora aussi subitement qu'il s'était installé, la plongeant dans la plus grande perplexité. La fièvre n'avait encore jamais fait ça ! Elle se réjouit, la partie n'était pas tout à fait perdue ! Elle se releva et s'élança à la suite du Lumissien.

     La nuit lui parut froide, et particulièrement sombre après ces longues minutes passé dans le bâtiment. Cléon s'aperçut qu'elle était couverte de sang, celui de Celtica, et que son avant-bras était presque entièrement bleu. La blessure avait évolué très vite. Trop vite. Elle fouilla dans sa pochette et trouva une seconde fiole de potion, qu'elle avala aussitôt, en grimaçant. C'était infect ! Si elle s'en sortait, elle demanderait à Kwen d'en retravailler le goût...

     Quelqu'un sauta souplement derrière elle, Cléon se retourna vivement, prête à se défendre. Il ne s'agissait que du démon aux cornes de bélier. Mais où était son ami ?

     — Où est Celtica ? rugit-elle, encore sous la tension de l'affrontement.

     — En sécurité, avec le capitaine Vlad-Alexeï d'Œilbleu. Où est Ironie ?

     — J'ai pas réussi à la prendre.

     Bien qu'elle fût tout à fait incapable de dire s'il la regardait ou non, elle pouvait néanmoins sentir ses yeux brûlants peser sur elle. Il la jugeait. Comme tout le monde.

     — Tu as fait de ton mieux. Ironie... On ne plaisante pas avec elle. Suis-moi.

     Cléon obéit, sa nervosité s'évaporait peu à peu. Savoir Celtica enfin en sécurité la soulageait à un tel point que la fatigue l'anesthésiait. Elle ne rêvait que de s'étendre, de s'endormir, et d'oublier cette éprouvante soirée. La créature en armure ne pressait pas le pas, et paraissait tout à fait détendue. Sa présence avait même quelque chose d'apaisant, de rassurant.

     Ils arrivèrent devant l'auberge, le démon ouvrit la porte et lui fit signe d'entrer.

     — Tu veux pas voir comment il va ? demanda Cléon, très surprise de le voir rester sur le pas de la porte.

      — Il n'a pas besoin de moi. Rentre te mettre à l'abri, la pluie n'améliore pas ton état.

     Il la poussa gentiment à l'intérieur et referma la porte. Cléon ne chercha pas à le retenir, et monta les escaliers pour retrouver les Brasiens. Elle rencontra Fédra, en armes et armure, appuyée contre la cloison en haut des marches, les bras croisés. Elle devait sans doute attendre son retour... Elle affichait une expression impavide, presque arrogante, qui s'effaça lorsqu'elle vit la jeune fille.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant