J'ai choisi une nuit d'équinoxe de printemps, au ciel dégagé. La lune est décroissante, mais elle ne devrait pas intervenir dans mon rituel. J'empaquette mon matériel et un grimoire. J'embrasse mon fils, mon épouse qui porte notre second enfant et dont je pardonne la faiblesse. Mon frère est un soleil ; moi une nuit noire.
Je sors de la maison. L'air est froid, le printemps commence seulement. La terre demeure encore gelée, mais elle raffermit ma résolution. Pas d'insecte, pas d'odeur. Je reste concentré, je me récite mentalement les étapes du rituel et les mots que je dois prononcer, tous en langue divine. J'ai peur, je n'ai encore jamais tenté une chose aussi dangereuse. Je me demande si ma sœur me voit, si elle m'approuve, si elle comprend mon tourment.
J'approche de la maison de mon frère, je passe la porte d'entrée. Une senteur de bois m'assaille, les bûches crépitent et brûlent encore dans leurs cheminées. Je marche à pas de loup, j'ai un peu de peine pour ses enfants. Mes neveux. Ils sont innocents et vont quand même perdre leur père. Mais ce n'est pas si important. Je vérifie que les époux dorment bien dans des chambres séparées, dans le respect strict des traditions arcannes. C'est le cas. Je n'aurai à prendre qu'une vie.
Je me faufile dans la chambre qu'occupe mon maudit frère. Il ne pourra plus m'échapper. Il est fait comme le rat qu'il est. Ce qui m'ennuie le plus dans cette histoire, c'est qu'il ne saura jamais à quel point je le hais. Tant pis, je m'en remettrai.
Je dépose délicatement mon sac près de la porte que je verrouille par précaution. Je vérifie que la fenêtre est bien fermée et trace un cercle sur le sol. Il faudra que j'y dépose mon frangin, cette opération constitue la partie la plus délicate du rite. Je suspends un bouquet de menthe séchée au plafond, dépose sur la ligne du cercle diverses choses, dont une pièce d'or, un bâton de cyprès sec, un bol d'eau, un bol d'huile, une cuillère de sel, un lingot de fer, trois pommes de pin, un quartz quasi-pur. Je couvre la fenêtre d'un rideau de soie noire, étouffe le feu de la cheminée.
Me voilà presque prêt. Il ne me reste qu'à le placer à l'intérieur du cercle. Je sais qu'il est lourd. Devrions-nous nous battre ? Non, il est plus fort que moi. Alors que je réfléchis, j'ouvre le grimoire à la page qui m'intéresse et le dépose devant le cercle. J'observe le visage endormi de mon frère, qui n'a rien de paisible. Parfait, je n'ai pas envie de le voir tranquille.
Je m'approche de lui et lui coupe une mèche de cheveux que je place sur le cercle. Je l'attrape sous les aisselles et tente de le soulever, en vain. Il commence à gigoter. Il s'éveille ! Tant pis pour la discrétion, je le lâche et le tire d'un coup sec hors du lit. Il se cogne sur le plancher, ouvre de grands yeux ahuris. J'ai envie de rire, qu'il est grotesque ! Il ne semble pas comprendre ce que je fais, il résiste à peine. Je le traîne vers le centre de mon cercle parfait. Il comprend enfin, quelle lenteur d'esprit !
Nous nous battons, je lui assène un violent coup à la tête. Contre toute attente, je gagne ! Je le maintiens fermement allongé au centre de mon cercle. Il me demande pourquoi. Pourquoi, hein ? Tu ne le sais donc pas ? Il garde son élégance, il ne crie pas. S'est-il résigné ? Dans ces yeux, autant de chagrin que d'incompréhension. Je m'en fiche, je gagne. Je lui confie ma douleur. Il n'y a que toi. Toi. Toi. Toi.
Je commence à psalmodier les mots divins. Ses yeux s'agrandissent, il se débat, mais je tiens bon. Oh oui, tu vas aimer ça, cher frère que je hais tant ! Cesse donc de gigoter, tu n'y échapperas pas ! Tu es à moi, à moi, à moi ! Ces vingt-huit ans de ma vie, gâchés par ton éclat solaire, tu vas me les rembourser au centuple !
À mesure que filent mes mots, la pièce prend une lueur étrange, surnaturelle. Je ne m'arrêterai pas. Je ne m'arrêterai jamais. Il faut que tu paies. Il hurle maintenant, me supplie. J'ignore s'il souffre, mais je sais que mon art fonctionne. La poignée de la porte s'agite, on essaie d'entrer. La voix de ma belle-sœur me parvient, mon frère lui demande de fuir avec les enfants. Je commence à voir flou. Tout se mêle autour de moi. J'ai envie de rire, je suis meilleur que toi ! Il n'y avait que toi, maintenant, il y a moi ! Moi ! Moi !
J'ai soudainement mal à la tête. Mon frère pousse un dernier hurlement. Et s'effondre.
Des fleurs sauvages s'épanouissent tout autour de moi. Une créature difforme semble danser. Deux petites filles semblables en tout point dont les dos se confondent. Elles s'arrêtent et me regarde. Une couronne de fleur dans leurs cheveux blonds, une robe blanche et fleuri leur tombe jusqu'aux genoux. Elles me fixent, je frémis. Elles s'approchent, me tendent la main et m'entraîne dans une ronde grotesque.
— Nous sommes Gémeaux, me disent-elles de leurs petites voix flutées. Tu as peur de nous ?
Évidemment que j'ai peur ! Je détourne les yeux et cherche un moyen de fuir. Il n'y en a aucun, le champ de fleur s'étend à perte de vue.
— Tu es mort, chantonnent-elles, tu es mort, tu es mort, mais nous, nous ne te voulons pas pour mort, pas pour mort, pas pour mort.
— Mort ? C'est une blague ! J'allai enfin briller !
— Alors accepte de jouer avec nous ! Tu brilleras toujours, et t'aveugleras tous ceux que tu as connus au point qu'ils ne penseront plus à toi ! Tu pourras faire tout ce que tu veux !
— Tout ce que je veux ? Et mon frère ?
Elles rient et sautillent.
— Il viendra jouer avec nous !
Je me réveille. Mon frère git, inconscient. Sa peau est fripée comme un fruit desséché, elle me semble épaisse et désagréable au toucher. Sa soyeuse chevelure n'est plus qu'une misérable poignée de fils fins et cassants. Il ne respire pas. Je me lève et m'approche de lui. Une voix retentit.
Dans ma tête.
Mon fils a disparu, comme s'il n'avait existé, la sœur que j'ai tuée est bien vivante.
Azer, mon frère, est devenu le Zombie conforme à mon rituel.
Seulement, Mébsuta, le Gémeau n'avait pas prévu qu'il abriterait l'âme de son frère tant haï.
Je ne peux le faire taire. Seul Sabik peut le museler.
VOUS LISEZ
Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du Feu
FantasíaDe l'autre côté de la voûte céleste Chantent les étoiles. Elles content une querelle millénaire qui oppose les dieux. Une fabuleuse épée, Ironie, est au centre de toutes les préoccupations, car son nom est synonyme de destruction. Pour retarder l'in...