36 La Tarentule, le Zombie et l'Oubli (3/3)

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     Tranquillement installé dans un superbe fauteuil au coussin de velours, Hayne dégustait une tasse de thé et grignotait quelques biscuits secs. Le bourreau se tenait bien sage dans un recoin sombre.

     Tranquillement installé contre la porte, Mébsuta admirait un couteau à lame étroite, fin et rutilant. Il gardait son heaume hideux bien vissé sur le crâne.

     Tranquillement installé contre le mur, les bras et les jambes écartés, Aljinan haletait. La séance de torture l'avait décoré de nouvelles plaies, hématomes et brûlures.

     Ils s'en étaient même pris à son visage.

     À moitié sonné, il ne comprenait qu'à grands peines les mots chuchotés par le prince. Il avait tenu bon, s'était récité mentalement la Tarentule comme une litanie salutaire. Il n'avait pas osé la prononcer à voix haute, car Hayne possédait des connaissances en magie qui aurait rendu caduques les effets de la formule. Et une fois découverte, elle serait inutilisable. Il ne puisait toujours pas dans l'énergie de la boule de magilithe logée dans son oreille. Pas encore.

     — J'ai envie de parler famille avec toi, annonça soudainement l'Arcan.

     — Tu veux plus savoir comment je te tiens tête depuis si longtemps ?

     Hayne but une gorgée de thé, terriblement satisfait. Jubilait-il ?

     — Je finirai par le découvrir, tôt ou tard. Mais ta famille m'intrigue. Tu es issu d'une longue et noble lignée, d'un important général. Pourquoi t'être retourné contre ceux qui t'ont vu naître ?

     — C'est plus fort que moi. Je réagis mal face à l'autorité.

     — Je le vois, sourit-il. Je m'attriste néanmoins de cette situation. Aljinan, tu es un homme intelligent et instruit, deux qualités que je place au ban d'honneur. Pourquoi rends-tu les choses si difficiles ? Tu es un adversaire formidable, cela me peine de t'infliger tout ceci. Tu ne l'as pas mérité, mais tu m'y forces.

     Bien sûr... Aljinan le fixa dans les yeux. Des sadiques, il en avait vus, il en avait côtoyés. Il luisait toujours au fond de leur regard la lueur maligne d'un plaisir intolérable. Mais pas dans le sien. Il ne recourait pas à la torture de gaieté de cœur. Pour lui, il ne s'agissait que d'un outil sale mais essentiel. L'imberbe en voulait pour preuve l'état impeccable de cette pièce, sa façon de traiter les suppliciés. D'ailleurs, le prince n'assistait que très peu aux séances.

     Après une nouvelle gorgée de son breuvage sans doute amer, Hayne se leva et se posta devant lui, les mains dans le dos. Il inspecta les blessures de son torse, de sa tête. Toujours aucune expression de satisfaction. Pas même de dégoût.

     — Est-ce pour ta famille que tu t'obstines avec Port Lumis ? Est-ce pour elle que tu ridiculises ce malheureux gouverneur Faranan Yréan ?

     — Nous sommes deux à ce petit jeu.

     Hayne sourit et acquiesça.

     — Ton fils, poursuivit-il, on me l'a ramené blessé et hagard. Je l'ai soigné et pris sous mon aile. Je suis surpris que tu l'aies choisi. Il ne te ressemble pas. Il n'a ni ta prestance, ni ta fougue, encore moins ton éloquence. Il m'écoute en tremblant, baisse les yeux quand je le regarde. Je l'effraie.

     — Qui t'effraierais pas, hein ? Tu ressembles à un épouvantail !

     Le bourreau fit quelques pas décidés, mais le prince l'arrêta d'un geste de la main. À contrecœur, il retourna à sa place, dans l'ombre.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant