30 Le troisième : Jalousie (1/2)

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     « Une haine dévorante »

     Il n'y avait que toi. Toi. Toi. Toi.

     Je le regardais, il contait fleurette à cette jolie fille, qui me plaisait bien. Je le haïssais. Il était beau, grand, intelligent et bien bâti. Il savait tout faire. Il avait une voix mélodieuse comme le chant des oiseaux, de tendres yeux de biche, des cheveux légers et doux comme le pelage d'un chat. Mais je haïssais les oiseaux, les biches et les chats. Tout lui réussissait, tout lui souriait. Son nom flottait sur toutes les lèvres. On ne voyait que lui, on ne regardait que lui ! Un seul défaut lézardait sa muraille de perfection : sa puérilité. Il courait avec les enfants à travers les chemins boueux pour revenir sale et dépeigné. Mais il souriait, et tout lui était pardonné.

     Moi, on ne me regardait jamais. On ne me laissait jamais rien passer. On me comparait sans arrêt à mon frère aîné. Il était toujours le meilleur, le mieux apprêté, le plus ceci, le moins cela... On m'effaçait, je n'existais plus. Je n'étais plus personne.

     Je le haïssais. Profondément.

     Même notre jeune sœur n'avait d'yeux que pour lui ! Il était fiancé, moi pas encore. Les bonnes familles semblaient hésiter à me donner la main de leurs filles chéries. Je n'étais pas un monstre, et je serais sûrement plus fidèle que mon enjôleur de frère. Je ne demandais pas grand-chose, juste un peu de reconnaissance !

     Je ne sais pas quand, ni comment cela a commencé. Je le haïssais, c'était tout. « Pourquoi n'es-tu pas comme ton frère ? », « Regarde-le marcher ; c'est un danseur. Toi, tu es un éléphant. », « Tu n'as pas d'avenir. Imite un peu ton frère ! », se lamentait ma mère et grommelait mon père. Quoi que je fasse, je n'étais jamais à la hauteur de leurs espérances. Qu'étaient-ce donc leurs fameuses espérances ? Je me donnais un mal de chien pour eux et ce n'était jamais assez ! Que fallait-il que je fasse ? L'argent que je ramenais à la maison n'était jamais assez brillant. Les femmes que je persuadais de me fréquenter n'étaient jamais assez bien nées. Les travaux que j'effectuais n'étaient jamais assez honorables.

     Mon frère seul porterait les armoiries de la famille et glorifierait notre nom. Moi, je n'apporterais que des serfs qu'il déploierait comme des pions sur l'échiquier de ses ambitions. Et mes ambitions à moi ? On les jetait en pâture aux cochons !

     Je m'efforçais de l'ignorer, de vivre comme je l'entendais. Je faisais toujours plus d'efforts pour les rendre fiers de moi. Je n'obtenais que des regards agacés, des claquements de langue secs. Pourquoi ? Avais-je mal fait ? Et lui venait me donner une tape dans le dos en me gratifiant d'un chaleureux sourire ! Sale monstre hypocrite !

     La jolie fille lui donna un mouchoir blanc et s'en alla dans le bruissement de ses belles jupes. J'enrageais ! S'il était si parfait, pourquoi, moi, son frère, celui qui lui ressemblait le plus sur cette terre, n'étais jamais à leur goût ? J'avais passé l'âge des singeries où l'on m'avait reproché d'agir comme un enfant. Et lorsque je me cherchais, on me reprochait de ne pas être comme lui. Que devais-je faire, que voulaient-ils, tous ?

     Mon frère rangea le mouchoir dans sa poche après l'avoir soigneusement plié. Je ne savais pas ce qu'il voulait en faire, et je m'en moquais. J'aurais voulu que cette fille remarque le garçon perché sur le muret comme un gamin de ferme, qui les observait sans malice. Peut-être m'aurait-elle trouvé à son goût, si mon frère n'irradiait pas autant. Il était un soleil alors que j'étais une nuit noire. Il gagnait. Je perdais.

     Je ruminais mes mauvaises pensées jusqu'au manoir où je retrouvais ma famille dans le salon. Un feu agréable m'accueillait. Ce fut bien le seul, ma mère se cantonnait à l'indifférence de mon arrivée, mon père ne daigna qu'un bref regard dans ma direction et retourna à la lecture d'un livre que je jugeais méchamment trop compliqué pour lui. Ma sœur me sourit et me montra discrètement la broderie qu'elle effectuait pour un homme qu'elle admirait en secret. J'aurais aimé croire qu'elle ne partageait son transport qu'avec moi, mais je savais que mon frère était aussi dans la confidence. J'eus du mal à lui rendre son sourire. Oppressé, je quittai la pièce pour rejoindre ma chambre.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant