07 Le Verset du Feu (1/3)

121 20 66
                                    



      La statue de Mérénos était un véritable chef-d'œuvre. Réalisée dans un bois gris, rare et précieux, dont le grain imitait la peau à s'y méprendre, elle était vêtue d'une véritable tunique en lin, qui recouvrait un corps paradoxalement musculeux et squelettique. Les quatre bras du dieu de la mort se déployaient autour de lui. Il portait dans chacune de ses mains un brûle-parfum en jade sombre, issu d'une carrière en Orphale. Ses jambes, aux cuisses et aux mollets musclés, se terminaient par des pieds aux ongles griffus. Une ceinture en or massif sertie d'émeraude entourait sa taille famélique. Mais la partie la plus saisissante de cette représentation de l'horreur était sans doute son visage effroyable.

      Sous ses cornes pointues et décorés par des anneaux d'or et d'émeraude, se trouvaient deux yeux de verre. Rouges et noirs, ils toisaient sévèrement les fidèles. Rien ne semblait pouvoir lui échapper. Son nez, long et pointu, tombait devant une bouche béante, sans mâchoire inférieure, que seules des dents pointues décoraient sinistrement.

      Si Mérénos était la personnification du cauchemar, alors cette statue était une vraie réussite. En plus d'être formidablement exécutée, elle paraissait sur le point de sauter de son piédestal pour récupérer les âmes qui lui seraient dues.

      Exodica frissonnait. Seul dans le temple, il s'était péniblement agenouillé devant le dieu de la mort pour tenter de lui parler. En vain. Mérénos ne se laissait pas si facilement approcher. Il pourrait passer par Féénikisii, mais d'après les prêtres, les deux dieux entretenaient des relations conflictuelles en ce moment. Il se releva avec difficulté, s'appuyant sur sa canne. Il veilla également à ne pas glisser sur le sol de marbre ; il en mourrait de honte.

      Lorsqu'il fut debout et stable sur ses jambes, il tourna le dos à Mérénos et sortit du temple. À l'extérieur, dans la rue, attendait Risha, bras croisés, adossé contre le mur. Il gardait son heaume qui garantissait son anonymat. D'aussi loin qu'il se souvienne, le Poisson avait toujours été un jeune homme timide et doté d'une extraordinaire sensibilité. Il avait été un musicien de génie, plébiscité dans le pays entier, demandé dans les cours du monde entier. Aujourd'hui, il n'était plus rien. Juste l'ombre qui le suivait avec une fidélité irréprochable.

      Exodica s'en attristait. Il était à peine plus vieux que son fils, et il avait sacrifié sa vie pour d'obscures raisons. Lui seul savait encore qui il était. Lui seul connaissait l'auteur disparu des mélodies encore jouées dans les bals fastueux. Et plus jamais, ce jeune compositeur de talent ne pourrait jouer à nouveau. C'était un gâchis. Un véritable gâchis.

      — Votre Excellence, vous a-t-il enfin répondu ?

     L'empereur secoua tristement la tête. Cela faisait dix jours qu'il venait y rechercher l'attention de Mérénos, sans aucun succès. Il savait qu'il lui en voulait. Il connaissait ses fautes. Mais devait-il continuer à rester sourd à ses appels ? Il se sentait épuisé, abandonné. Tous ses efforts n'avaient abouti à absolument rien.

      On lui ouvrit la porte de son fiacre et l'aida à y monter. Aussitôt, Risha grimpa derrière lui et referma la porte. Isolés du monde extérieur, l'empereur put se relâcher un peu et le démon retirer son heaume. Exodica observa le visage éternellement jeune de son conseiller. Il avait eu beaucoup de succès, avant. Il aurait pu trouver une riche épouse, mais il ne s'était intéressé qu'à la musique. Une attitude réservée qui n'était pas sans lui rappeler Celtica...

     — Puis-je vous suggérer quelque chose, Votre Excellence ?

     — Vos conseils m'ont toujours été bénéfiques. Je vous écoute.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant