35 Estalis, la belle (2/3)

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     Après les bois, des pâturages enneigés. Tout ce blanc fit grelotter Vlad. Rien qu'à le regarder, la température semblait plonger. La capitale s'élevait plus loin, il touchait au but. Sa route le faisait passer par son manoir, entretenu par ses gens qui habitaient aux alentours. Ne plus y vivre lui pesait. Bien plus intime et modeste que le château, son petit chez-lui se situait bien plus près d'Estalis. Sanra aussi se languissait de leur superbe demeure, et Vlad la savait en sécurité là. Si Exodica le laissait partir, il espérait qu'il lui accorde au moins le droit d'y loger à nouveau son épouse... Parmi les loups de la cour, elle restait un agneau sans défenses.

     Sa basse naissance leur avait posé assez de problème pour redouter les réceptions. Les autres nobles ne l'acceptaient toujours pas dans leur cercle. Leur couple devait subir des insultes, des railleries et des tas de situations gênantes sans se rebeller et risquer d'envenimer la situation. Ainsi, ils les évitaient aussi soigneusement que possible. Avec un bébé à naître elle demeurait plus vulnérable que jamais. L'empereur était un homme juste et bon. Il accepterait de la protéger, sans aucun doute.

     La route exhibait des traces de sabots et des ornières, l'épaisseur du manteau neigeux n'interdisait pas encore le passage. D'ici peu, qu'il parte ou qu'il reste, Vlad ne pourrait plus accomplir ce long voyage journalier. Peut-être dès demain, d'ailleurs ! Le ciel semait des flocons de plus en plus gros et menaçait de rompre toute communication terrestre pour des semaines !

     Vlad dépassa son manoir, non sans un pincement au cœur, puis avala la dernière heure de voyage d'un trait.

     Enfin, Estalis s'offrit à lui !

     La cité impériale, immense, abritait une forêt de maisons aux briques crème et aux toits d'ardoise. Les rues pavées de pierres claires accueillait sagement la neige silencieuse, les lampadaires à magilithes s'illuminaient. Le ciel s'obscurcissait, la nuit s'invitait telle une grande dame à un bal. Elle ne montrerait pas ses bijoux, ce soir-là, mais son parfum flotterait encore longtemps après son passage.

     Le palais impérial dominait la cité, se cachait derrière la ceinture de temples. Ses hautes cheminées soufflaient une douce fumée, qui dansait dans les jupes de la nuit. Dans les rues, peu de badauds, et ceux que le marquis rencontrait se pressaient de retrouver la chaleur de leur foyer. Les commerces fermaient plus tôt, les volets clos ne laissaient que peu de place au doute. Il faisait très froid et personne ne viendrait faire tinter la clochette de la boutique.

     Vlad confia sa monture à une écurie, où les palefreniers, couverts jusqu'au nez, le dévisageaient, contrariés. Ils ne lui demandèrent pas son nom et lui attribuèrent une plaque numérotée qu'il accrocha à sa ceinture en échange de quelques pièces d'argent. L'animal serait en sécurité et bien au chaud, pendant qu'il errerait dans les rues à la recherche de sa comparse de toujours. Fédra n'était pas du genre à rester bien sagement dans son appartement. Ou à considérer le froid comme un ennemi. Elle se promenait sans doute bras nus, d'un pas souple et léger, se gaussant de ses pairs qui chutaient lamentablement dans la neige.

     Le marquis s'élança dans la rue en pestant contre les flocons. Ils formaient un rideau si dense que la lumière peinait à le traverser. L'obscurité et la blancheur s'épousaient comme dans un rêve et invitaient à la contemplation. Il aurait donné cher pour déguster un bon vin chaud ! Mais pour l'heure, ses pas l'entraînaient dans la partie sud de la cité, réputée pour son indigence. Enfin, si toute la pauvreté ressemblait à ce quartier, le malheur n'aurait plus sa place dans le monde !

     Les bâtiments se faisaient plus hauts, plus serrés, aménagés autour de jardins collectifs. Des aboiements de chiens troublaient Dame Nuit, un chat sauta sur une poubelle. Des enfants riaient aux éclats, les mères les appelaient désespérément à rentrer. Quelques hommes se promenaient, parfois accompagné d'une jolie femme qui soulevait ses longues jupes pour ne pas en mouiller les ourlets et s'y empêtrer les jambes. On ne s'occupait pas encore de déneiger les rues, mais là où circulaient les chariots et les cheveux, la neige ne tenait pas. Un filet fin en fibre de pyrolithe veillait au bon état de la route, de façon à ce que les dalles de pierre ne subissent pas les ravages de la glace. L'eau s'évacuait sur les côtés, le long des trottoirs et se jetaient dans les égouts.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant