Dépassé, Celtica chercha des explications auprès d'Arkh. Mais elle ne le regardait pas, perdue dans ses pensées. Elle caressait avec négligence le pendentif qu'elle portait au cou. Puisqu'elle vivait dans un total dépouillement, il n'avait soupçonné la présence d'un tel bijou.
— Asseyez-vous, tous les trois, reprit la doyenne. Prenons les problèmes les uns après les autres. Nous n'avancerons pas en les affrontant tous à la fois. Certes, nous devons leur porter assistance. Certes, nous devons privilégier Nidhogg. Mais le Gardien est ici, et Ironie est là-bas, quoi que nous fassions, nous ne pouvons le faire dans les temps.
— Nous abandonnons un familier ? s'étrangla une nouvelle voix.
— J'ai envoyé Jinan à la rescousse de Méliade, intervint Arkh. Nous pouvons lui faire confiance. S'il la libère, elle pourra révoquer Nidhogg et la sauver d'Ironie.
— Mais rien ne nous garantit qu'il y parviendra !
— Comme rien ne nous garantit qu'ils utilisent le pouvoir d'annihilation d'Ironie.
Les deux Anciens se rassirent. La discussion devait donc être close. Celtica admira la retenue dont faisaient preuve ces hommes et ces femmes. Ils luttaient farouchement contre la panique et restaient courtois là où d'autres auraient explosé. Rien ne ressemblait à Port Lumis !
Cependant, leur apparent calme quant à la situation malheureuse de Méliade l'étonnait. L'abandonneraient-ils à son sort ? Quitte à sacrifier Aljinan dans sa tâche ? Il fixa Arkh, écœuré. Avait-elle conduit son ami à la potence ? Était-ce dont là le prix de leur amitié ? Leur cruauté ?
— Vous vous demandez sans doute pourquoi nous nous inquiétons autant pour Nidhogg, le fit sursauter Palar'rrèn. Ne croyez pas que la situation de Méliade ne nous tracasse pas, bien au contraire. Mais les familiers sont nécessaires aux Anciens.
— Oui, il allonge votre espérance de vie, répondit-il, âpre.
— Oui, mais là n'est pas l'essentiel. Je doute que vous sachiez pourquoi les Anciens sont une espèce à part. Nous naissons dans tout le genre Homo : Humain, Sorcier, Walkyrie. Et ce en dépit de l'affinité magique. Quand un Ancien meurt, quelque part dans le monde, un bébé naît et reçoit ses dons ailleurs. Ce phénomène englobe toutes les strates sociales, sans distinction culturelle. Ainsi, il y a un nombre inchangé d'Ancien, mille très exactement. Même avec le meurtre de Mrèk'ran, nous sommes toujours mille à fouler le monde. Ce n'est possible que parce qu'il y a mille familiers disséminés à travers les plans.
— Un familier pour chaque Ancien, un Ancien pour chaque familier, résuma Celtica. Mais Arkh m'a appris que certains d'entre vous ne se lient jamais.
— L'état psychologique de nos compagnons est sans doute la raison majeure de cette situation malheureuse. Ils ont leur caractère, et la douleur du deuil leur est parfois si insupportable qu'ils refusent tout appariement pendant deux ou trois générations.
Celtica hocha la tête. Le jour où Arkh disparaîtrait, Cerbère serait sans doute inconsolable. La fusion entre ces deux-là était parfaite. Mais rien n'expliquait le sacrifice d'Aljinan et de Méliade !
— Pour revenir au cas de Méliade, si elle décède, seul son corps disparaîtra ; ses souvenirs, ses expériences, ses actes, tout restera bien vif dans la mémoire de Nidhogg. Elle vivra éternellement à travers elle, et participera à l'avènement de son successeur, jusqu'à la mort de celui-ci et ainsi de suite. Être un Ancien, revient à participer à une boucle infinie, toujours plus dense. Le poids de nos responsabilités s'alourdit à chaque liaison. Il est aujourd'hui colossal.
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Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du Feu
FantasyDe l'autre côté de la voûte céleste Chantent les étoiles. Elles content une querelle millénaire qui oppose les dieux. Une fabuleuse épée, Ironie, est au centre de toutes les préoccupations, car son nom est synonyme de destruction. Pour retarder l'in...