03 Fuir (1/4) [v.2]

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     Après une grande inspiration, Cléon fit un premier pas vers Shiraad. Focalisé sur les va-et-vient des pilleurs, il ne paraissait pas l'avoir vue. Une chance ! Elle adopta alors l'attitude nonchalante observée chez les mousses et se persuada que rien ne pouvait l'atteindre. Son déguisement tenait encore, si elle poursuivait le jeu de l'indifférence, elle ne le mettrait pas en péril.

      — Cap'taine, tu voulais m'voir ? l'apostropha-t-elle de sa plus belle voix grave.

     Bras croisés, le pirate se tourna vers elle, un sourcil arqué. Il la dévisagea longuement, sans un mot, sans une expression. À mesure que les longues secondes s'égrenaient, l'horreur s'enracina en elle. Il l'avait démasquée ! Elle imaginait déjà les remontrances, la peau cramoisie de son père, sa voix tonitruante. Sa liberté s'enfuyait à tire-d'aile... Elle se maudit en secret et s'évertua d'ignorer la sueur qui ruinait toujours plus son maquillage.

     D'un geste de la main, et sans le regarder, Shiraad renvoya l'un de ses subordonnés. Oh ! qu'elle n'aimait pas son expression ! Amère et furieuse, elle pinça les lèvres et baissa la tête, prête à subir le pire sermon de sa vie.

     — Non, je ne t'ai pas appelé.

     — Mais, ils sont v'nus m'dire...

     — Qui, ils ?

     Elle fourra les mains dans ses poches et haussa les épaules, revêche.

     — Des hommes...

     Dubitatif, le capitaine jeta un regard dans la pièce, puis sur sa montre à gousset.

     — Pas le temps pour des enfantillages. Tu sais à quoi ressemblent les armoiries des Noblargent, non ? On y touche pas, ordre du grand patron. Allez, au boulot !

     Cléon tourna aussitôt les talons et attendit de se trouver hors de vue pour souffler un bon coup. Bon sang, ce n'était pas passé loin ! Son cœur avait bien failli lâcher ! La tension générale et la pénombre devaient jouer en sa faveur. Elle décida qu'elle avait bien trop abusé de la chance et s'affaira autour d'un coffret. Le blason des Arcans y était gravé, elle pouvait donc l'emporter. Elle ne comprenait pas ce qui protégeait les affaires brasiennes, et elle n'avait pas poussé l'audace à le demander. Shiraad aurait fini par la reconnaître, si la conversation s'était éternisée. Les ordres de son père demeuraient absolus.

     La salle aux trésors du baron se retrouva bientôt dépouillée de son opulence. Adieu or et pierreries, figurines et tableaux, dentelles et soies. Une à une, toutes les richesses furent évaluées, triées, emportées. Il ne resta que quelques objets brillants, dont Cléon ignorait tout de la valeur. Mais elle faisait confiance au jugement de ses compagnons, plus aguerris.

     Lors d'une dernière ronde de vérification, la jeune fille retourna auprès des coffres. Peut-être que cette folle épée s'y trouvait toujours. Elle laissa libre cours à ses bâillements, satisfaite de sa petite escapade. Bientôt, elle retrouverait son lit... et peut-être même un repas ! Il serait froid, mais qu'importe.

     Des coffres, il ne restait que ceux plaqués de l'écusson chimérique de l'empire. Éventrés, certes, mais bel et bien à leur place. Sans surprise, l'épée avait disparu. Bon débarras ! Elle frissonnait encore de leur terrifiante rencontre. Peut-être avait-elle été victime d'une simple hallucination ?

     La curiosité la conduisit à la fenêtre où se refléta l'image grotesque d'une figure androgyne, dissimulé sous une grande casquette. Son maquillage strié de sueur ne laisserait bientôt plus de doute. La pâleur sale de son visage resurgirait dans peu de temps. Il s'agissait à présent de tous leur fausser compagnie et de rentrer en catimini à la maison. Ou chez Kwen, plutôt. Oui, lui ne trahirait pas son secret, même s'il le devinait.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant