45 Tuer l'enfant, accueillir l'adulte (3/3)

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     D'un signe de main, le prince le congédia. Sans se faire attendre, le Lumissien quitta aussitôt la pièce, ravi d'échapper à son attraction funeste. Les vives lumières de la forteresse ne lui causaient pas tant de désagréments que l'aura princière. Il inspira à fond l'air devenu subitement frais et salua sa chance insolente. Chaque fois qu'il rencontrait Hayne, il savait qu'il risquait d'y perdre la tête. Il se passa la main autour du cou, surpris de le trouver intact.

     Eickœs traversa les longs couloirs monotones sans prêter attention aux cellules. Certaines accueillaient des prisonniers, les autres... autre chose. Leur vue suscitait en lui des haut-le-cœur insoutenables. Des créatures contre-nature, des insultes envers les dieux. Hayne ne parlait jamais de ses vampires, mais il en prenait soin. Il les nourrissait, les logeait, leur permettait d'exister. En un sens, l'Ordre Zodiacal leur ressemblait. Des choses que la vie et les préceptes divins reniaient. Mais qui était-il pour juger du bon et du mauvais ? Le prince les sauvait, après tout. L'Épervier n'était-il pas comme eux ? Une créature égarée, abandonnée de tous et de tout ?

     Des mugissements sourds se répandaient parfois le long des murs épais, glaçaient les sangs de quiconque les entendait. La forteresse abritait un autre secret. Une autre arme, peut-être ? Eickœs n'avait pas osé interroger son maître. Il était des sujets qui condamnaient à la potence sans nulle forme de procès. Ceux-là, le jeune homme savait les éviter.

     Il atteignit enfin la plus reculée des cellules. Petite comme un placard à balais, elle le paraissait davantage avec la présence de l'homme immense qui la hantait. Recroquevillé sous un drap rêche et grisâtre, il ne dissimulait guère l'éclat luisant de son crâne majestueux. Un roi sans couronne, sans terre. Et sans fils. Pris en étau entre le soulagement et la révulsion, Eickœs n'osa pas s'approcher. Il contemplait cette masse au repos, ignorant s'il dormait ou s'il souffrait. Il n'avait probablement pas perçu sa présence.

     Un bruit de soufflerie agitait la masse assoupie. Faisait-il de jolis rêves ? C'était tout ce qu'était Port Lumis, à présent. Un bien joli rêve qui s'évanouirait à son réveil. Un poignard s'enfonçait dans son cœur. Lui aussi devait brûler son passé pour qu'éclose son avenir. Le grand incendie commençait maintenant.

     Eickœs donna un coup de pied dans les barreaux, Aljinan s'étira et rugit plus qu'il ne bâilla. Il devait sans doute croire que se présentait un vulgaire soldat. Il serait surpris. Patient, l'Épervier redoutait pourtant le moment où leur regard se croisait. Le moment où il lirait de l'affection sur les traits de l'homme qui l'avait élevé.

     Le chef déchu se retourna. Le rapace prisonnier se figea.

     — Enfin te voilà.

     Eickœs vacilla. Une voix chaude, profonde où transperçaient l'apaisement et un certain fatalisme. Nulle colère, pas même un froncement de sourcil. Des cicatrices inédites décoraient son visage las, pourtant, il paraissait en forme. La même intelligence brillait dans ses yeux d'ambre, Hayne ne l'avait toujours pas brisé. Y parviendrait-il seulement un jour ? Son endurance forçait l'admiration, Eickœs devait bien l'admettre.

     — Me voilà.

     — Chaque fois que je te retrouve, c'est un esclave qui me fait face. Ça te plaît tant que ça, d'être un jouet ?

     — Pas un jouet, Aljinan. Une arme.

     — Une épée de fumée !

     La colère brûla les veines du jeune homme. Une épée de fumée ? Il s'élança contre les barreaux, les frappa et brandit Ironie. Derrière Aljinan dansaient les ombres menaçantes aux yeux évanescents. Pourtant, elles n'inquiétaient pas le chef. C'était lui, et seulement lui qu'elles lorgnaient. Il les ignora et se concentra sur Aljinan.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant