46 Le sanctuaire (1/3)

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     La forteresse de hêtres et de chênes les accueillit tel une oasis en plein désert. Vivace touche verte dans l'opulente blancheur de la toundra, la forêt semblait concentrer toute la vie alentour. La neige ne tombait pas sur cette émeraude brute, bien qu'un ciel chargé de nuages lourds la surplombait. Une tiédeur agréable accompagnait l'odeur des sous-bois, amants amicaux après tant de marche à braver le froid et la glace.

     Au pied de ces géants graciles s'étendait un tapis majestueux de violettes. Les délicates fleurs n'abandonnaient aucune parcelle à la terre sombre et humide. Les couleurs, si vives, si mystérieuses, si féminines annonçaient en grande fanfare la résidence de la déesse de la lune. Une douce lumière argentée filtrait à travers la dentelle de la frondaison, couvrait chaque pétale, chaque feuille d'un éclat précieux. Un parterre de joailleries qui exhalait un puissant parfum, doux et sucré, piège mortel pour les pauvres hères qu'ils étaient.

     Celtica déboutonna son manteau et retira gants et écharpe. La différence de température entre la plaine et la forêt était telle qu'il étouffait. Ses amis ne tardèrent pas à l'imiter dans un silence respectueux. Accrochés aux branches comme d'énormes fruits mûrs, des hiboux observaient leur progression. De temps à autre, un hululement résonnait, puis un autre et enfin un troisième. Ils formaient un comité d'accueil intimidant, curieux et réservé. Les petits espions d'Araane les surveillaient...

     Sans trahir sa nature placide, Tramo se montrait intrigué par ce nouvel environnement, contrairement aux savelas qui s'agitaient tant qu'ils menaçaient de désarçonner les voyageurs. La nervosité gagnait le prince. Outre l'odeur de mousse, de champignons et de violettes, une autre, plus subtile, plus suave, serpentait entre les troncs. Il la reconnut entre toute, l'odeur de la magie. Cette forêt en était gorgée à raz-bord !

     Les clapotis onctueux d'un ruisseau libre confirmaient que l'hiver n'avait plus de prise. Il voletait même quelques insectes bourdonnants.

     — On se sent si bien, ici ! s'exclama Vlad, ébahi. On dirait que la paix règne enfin dans le monde !

     — Une idée fausse, mon cher, le contredit Telnim avec douceur. Le sanctuaire est tout près, Araane nous surveille.

     Celtica leva la tête vers les hiboux impassibles. Aucun d'eux ne semblait arborer de plumes mauves. Au moins, la déesse ne se dissimulait pas parmi eux ! Ils mirent pied à terre et laissèrent les monstres rechercher leur pitance. Ils ne s'échapperaient pas, la magie les piégeait comme le miel attirait les abeilles.

     — On est arrivé ? lança une voix endormie.

     Celtica se rendit auprès de Cléon, soulagé. Les dernières heures de voyage avaient été éprouvantes pour elle, l'amulette avait été vidée de son énergie. La voir s'éveiller relevait presque du miracle ! Avant de lui répondre, il étudia son aspect général. La sueur avait déserté son front, bien que ses cheveux d'argent se retrouvaient plaqués contre son visage, elle n'avait plus cet air spectral qui la rapprochait peu à peu du domaine de Mérénos. Ses lèvres ne saignaient plus.

     — Nous y sommes presque, comment te sens-tu ?

     Elle se délesta de ses gants et tapota sa bouche. Puis elle fit rouler doucement ses épaules.

     — C'est bizarre, je me sens bien. J'ai pas de fièvre, j'ai pas mal, je saigne pas... Pourtant, j'ai pas été soignée...

      — C'est la magie qui circule dans la forêt, expliqua Coxa.

      — Mais je suis amagique...

      — Ici, l'énergie est très dense et compense le circuit rompu de ton corps... Personne ne t'a expliqué d'où provient ton amagie ?

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant