14 Amertume (2/3)

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     Elle avança vers lui, hébétée, le pas lourd. Ce devait être un cauchemar ! Seulement quelques pas la séparaient du corps de son ami, et elle semblait incapable de s'approcher plus vite. Son corps tremblait, ses poumons accédaient difficilement à l'air qui leur était dû. C'était impossible... Pas lui ! Au bout de ce qui lui parut une éternité, elle se laissa tomber près de lui. Et une vague de soulagement l'envahit.

     Il ne respirait que par saccades et sanglotait nerveusement, dans un silence surréaliste. Le sang baignait son flanc gauche et continuait de se répandre sur le plancher moisi. Il vivait encore !

     Cléon entreprit alors de déboutonner sa chemise et inspecta sa blessure. Elle était très profonde, trop large. Elle ne pourrait rien faire, il avait besoin d'être recousu au plus vite. Elle scruta son visage, devenu blanc. Ses lèvres bleues tremblaient. Il n'en aurait plus pour longtemps si elle n'agissait pas tout de suite !

     Cléon le souleva pour le tenir contre elle. Sous l'odeur infecte du sang flottait encore celle du pin et de la menthe poivrée. Elle fouilla dans sa pochette pour trouver une fiole de la potion qu'elle usait elle-même et le lui fit avaler. Il s'étouffa presque, et continuait, paniqué, à pleurer sans aucune retenue. Comme si sa présence lui redonnait de la vigueur, il laissa sa voix éclater pleinement. Tout en pressant sa plaie à l'aide de sa chemise, elle le berça doucement.

     — Ça va aller, je suis là, souffla-t-elle. Calme-toi, je suis là.

     Elle l'embrassa sur le front, comme le faisait son père ou Kwen quand elle était au plus mal. Elle espérait que ce geste lui octroierait de la force. Il était si froid !

     — Hé ! L'armure ! appela-t-elle. Celtica a besoin d'aide !

     Mais aucune réponse ne lui parvint. Elle jura entre ses dents. Elle ne pouvait pas le laisser seul ici pour aller chercher du secours, mais elle ne pouvait pas non plus l'emmener avec elle : il était bien trop lourd ! Mais elle refusait à céder au désespoir. Non loin de là, il y avait cette auberge...

     Cléon prit une profonde respiration et hurla aussi fort qu'elle le pouvait. Elle espérait que quelqu'un passe près du marché, que quelqu'un l'entende. Il fallait que quelqu'un l'entende !

     Des pas résonnèrent dans le marché couvert. L'espoir l'envahit, elle ne put retenir des larmes de soulagement. Elle tourna la tête vers cet arrivant, et perdit son sourire. Eickœs marchait lentement sur eux. Comme un bourreau sur un condamné.

     — Je me doutais qu'il vivait encore, lança-t-il. L'épée a refusé de me blesser.

     — C'est toi qui lui as fait ça ? rugit-elle. T'es complètement malade !

     Eickœs blanchit, son visage se ferma.

     — Si moi, je suis malade, qu'est-ce que tu es, toi ? Écarte-toi, je dois finir le travail.

     Sans une once d'hésitation, Cléon braqua son pistolet alchimique sur lui. Elle ne comptait pas tirer, mais s'il faisait un pas de plus, elle n'aurait aucun remord. Par sa faute, elle avait faillit connaître un sort pire que la mort, par sa faute, leur père était en très mauvaise position ! La haine, la révulsion qu'elle éprouvait pour lui en cet instant dépassait tout ce qu'elle n'avait jamais connu.

     — Recule ! exigea-t-elle.

     Eickœs secoua la tête d'un air désolé.

     — Il t'a vraiment tourné la tête, pas vrai ? Tu sais pourtant que c'est interdit. Que t'as pas le droit...

     — Tais-toi !

     Sa voix résonna étrangement dans cette grande salle. Cléon tremblait de rage. Il était allé beaucoup trop loin. Elle avait l'habitude des insultes, du jugement de ceux qui parlaient sans savoir, mais Eickœs était son frère ! Bon sang, son frère ! Comment pouvait-il... Comment osait-il ?

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant