34 Fantôme de pierre (3/3)

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     Enfin à l'abri du froid et de l'humidité, Celtica réclama du papier et une plume pendant qu'il préparait lui-même le repas. Ses compétences culinaires ne rivalisaient en aucune façon avec le talent des cuisiniers, mais il savait confectionner deux ou trois plats. Il fouina dans les placards jusqu'à trouver des œufs et des pommes de terre qu'il s'empressa de jeter dans une marmite.

     Quand il se retourna, Cléon l'observait, les bras croisés. Une lueur taquine dans les yeux ne laissait pas présager du meilleur...

     — T'es vraiment un prince, toi ? Ou alors, la cour impériale est complètement ruinée et tu me mens depuis le début !

     Celtica soupira et ignora le sarcasme. Il prit place à table, devant le papier. Son amie s'installa tout près de lui et se pencha pour l'observer. Pendant quelques instants, le prince fit tourner la plume entre ses mains, puis se décida à tracer les premiers mots de sa lettre. Cléon ne pouvait pas les lire, elle ne connaissait que l'alphabet commun. L'écriture brasienne découlait de celle pratiquée en Orphale, une suite de caractères qui associaient des signes, appelées clefs, notant le sens et le son. Pour compliquer la tâche, le Brasier avait adopté la langue d'Estalis, très différente des dialectes orphaliens lorsque le premier empereur s'était établi. Il avait donc plaqué les différentes prononciations sur les caractères de sa langue, éliminant du même coup l'ancien alphabet cunéiforme.

     Beaucoup de mots brasiens empruntaient à l'orphalien, mais ils n'étaient guère utilisés que dans l'administration et à la cour. Le commun de la population n'employait que des mots vernaculaires, dans leurs dialectes respectifs. Un petit millier de caractères suffisaient à noter la langue selon leurs besoins. Il comprenait des signes accessoires, qui notaient la grammaire et la conjugaison, et des caractères dits nobles, qui représentaient les mots en eux-mêmes. Un caractère pouvait comprendre jusqu'à une bonne dizaine de lectures, qui dépendaient de ses associations.

     De nombreuses tentatives de simplification de l'écriture avait échoué jusqu'ici, la noblesse refusait, sans doute par rancœur, de simplifier les choses pour leur descendance et la basse population. À vrai dire, chaque noble passait de douloureuses années à apprendre par cœur des livres épais et indigestes de poésie dans le seul but d'assimiler le moindre caractère ! Sans parler de la recopie... Celtica n'avait pas trop eu à se plaindre, sa mémoire et son intérêt pour cette littérature lui avait facilité l'apprentissage.

     Arrivé au bout des interminables formules d'ouvertures, Celtica se tourna vers Cléon.

     — Combien de personne le Chaos peut-il transporter ?

     — Cinq ou six personnes. Éventuellement une septième, mais on serait à l'étroit. Pourquoi ?

     — Je ne peux me présenter qu'avec Vlad à la cour royale. Et d'un autre côté, d'autres hommes compliqueraient la tâche au Néöfrä. Je vais donc lui demander deux ou trois femmes mercenaires, le temps de notre voyage au Nord. Dois-je les faire venir à la capitale ou leur donner rendez-vous directement à la frontière ?

     Cléon croisa les bras et fronça les sourcils. Elle fixa un point invisible quelque part sur le papier.

     — Tu cherches à agrandir ton harem ! plaisanta-t-elle. Plus sérieusement, il vaut peut-être mieux qu'on se retrouve tous à la capitale, tu aurais l'air plus crédible avec des gardes du corps.

     — Il n'y aura que Vlad si je lui demande des femmes mercenaires. La cour de Jesd méprise la gent féminine, j'aurai l'air d'un noble concupiscent si je les autorise à me suivre. Elles ne me seront utiles qu'à la frontière. De plus, Vlad souffre d'une très mauvaise réputation.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant