Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du Feu

02 Le maître du chaos (1/3)

     L'imberbe jeta le pistolet derrière lui, se moquant éperdument qu'on le récupère ou non. Sa suite se déploya autour des convives pitoyables qui gémissaient et se lamentaient au sol. Toutes les sorties sous leur contrôle, ils parquaient les nobles comme du bétail. Rapides, efficaces et disciplinés, Celtica comprit qu'il ne s'agissait pas tout à fait d'amateurs. Même s'ils en avaient tout l'air.

     — Gardes ! Arrêtez-les ! ordonna le roi Jesd.

     Les soldats présents dans la salle de bal lancèrent la riposte. L'homme au cou de taureau dégaina ses cimeterres avec une nonchalance affichée, alors que les autres assaillants se préparaient plus nerveusement à l'affrontement. Très vite, des cris et le fracas des armes emplirent la pièce comme un nouvel être vivant, dépourvu de la moindre raison. Celtica aperçut du coin de l'œil une dame s'évanouir, et un gentilhomme tenter de fausser compagnie, sans considération pour son épouse et ses enfants. Il serra plus fort les mains de son père. Lui, il n'abandonnerait pas sa famille, même si la peur lui tordait l'estomac !

     Le prince s'efforça de ralentir sa respiration. Son maudit cœur affolé cognait jusque dans son crâne, effrayait ses pensées et diluait sa raison ! Accroupi comme tous les autres, il ne pouvait que constater son impuissance. Il fit alors appel à sa magie et malaxa l'énergie tapie dans ses entrailles, la dirigea vers sa poitrine. Peu à peu, il se décontracta, le brouillard de son esprit se dissipa. Il aborda la situation d'un œil neuf.

     Les envahisseurs trop nombreux pour de simples bandits, rivalisaient avec les soldats arcans. Ils n'avaient tué personne et ne s'acharnaient sur aucune de leurs victimes. Ils se contentaient de les jeter au sol, plus ou moins conscients. Adroits et rapides, ils abattaient un travail formidable, sans accuser de pertes. Avec leurs lourdes armures d'apparat, les gardes ne faisaient guère le poids ! Voilà où les conduisait la fatuité de Faranan !

     Une seule question taraudait le jeune homme : où étaient les gardes impériaux ? Et l'invincible Ordre Zodiacal ? Son meilleur ami et garde du corps personnel se trouvait dans le premier groupe ! Il espérait que rien ne leur soit arrivé, et se jurait de faire payer à ce très cher gouverneur ses erreurs impardonnables ! S'ils s'en sortaient en vie...

     Pour le moment, il ne pouvait qu'assister à la spectaculaire déroute des soldats de Faranan censés les défendre. Et peut-être adresser une prière à Mérénos, l'intransigeant dieu de la mort. Peut-être.

***

     La détonation la fit frissonner. Elle jeta un regard furtif autour d'elle, sur ses camarades qui pouffaient de rire. Cléon ne voyait pas ce qu'il y avait de drôle, et son sang battait à ses tempes alors que son cœur soutenait un rythme infernal. Elle ne tenait debout que par la force de sa volonté. La frayeur de sa vie !

     Grimée en garçon pour défier l'autorité paternelle, elle n'avait pas poussé non plus le risque à intégrer le principal groupe d'assaut qui était mené par son père. Elle avait préféré se fondre dans celui des pilleurs, moins nombreux, mais aussi moins exposé aux combats, qui lui auraient été fatals. De plus, Eickœs ne s'y trouvait pas non plus, son déguisement tiendrait encore bon.

     La couleur argentée de ses cheveux et la pâleur de sa peau avaient disparu sous une crème grasse et brune. Le principal de sa féminité avait été dissimulé sous un bandage serré. Bien que peu opulente, sa poitrine aurait tôt fait de la trahir. Cléon avait également noué autour de son cou un foulard, comme tous les autres. À défaut de passer pour un homme, on pouvait encore la confondre avec un tout jeune adolescent, androgyne.

     Shiraad dirigeait les voleurs, et il ne la connaissait que trop bien, hélas. Mais la nuit jouait en sa faveur et le pirate focalisé sur son travail, ne lui prêtait aucune attention.