Des décombres fumants tout autour. La pestilence du sang et du soufre. Le froid de la nuit et la sècheresse du feu.
Cléon se tenait au centre de tout, essoufflée et poisseuse. Du rouge maculait sa chemise, ses bras ankylosés et ses jambes lourdes peinaient à répondre. L'air âcre entrait dans sa gorge irritée comme éclate un barrage : dévastateur et irrépressible. Respirer devenait difficile.
Mais elle tenait bon.
Le chaos régnait en maître, partout. Comment aurait-elle pu prévoir qu'un dragon mettrait à mal les défenses du port ? Il avait détruit la porte d'un souffle ! L'écurie avait été complètement dévastée, aucune nouvelle des chevaux. Ni même de Rivalis... Le premier mur n'avait pas tenu, le second pas davantage. Désormais, les Arcans affluaient dans toutes les rues comme un torrent ravageur. Impitoyables, ils traquaient, tuaient chaque Lumissien qu'ils croisaient.
La jeune fille en avait affronté quelques-uns. Ses bras l'élançaient, lui rappelaient que ce cauchemar n'avait rien d'un songe. Tout semblait pourtant si irréel... Les cris, les plaintes ne lui parvenaient qu'à travers un voile épais. Le monde n'était que poussières, flammes et confusion. Ses yeux larmoyants, attaqués par la fumée insidieuse, ne s'attardaient que sur des cadavres et des cendres. Une odeur de mort insupportable imprégnait sa chemise, ses cheveux poisseux empestaient presque davantage. Elle avait abandonné son manteau, devenu trop encombrant. Le froid disparaissait derrière une étrange fièvre : la folie.
Au détour d'une ruelle, Cléon avisa un groupe de Lumissiens déboussolé par la fumée épaisse. Elle leur fit de grands signes et indiqua la direction du port, où l'air semblait plus respirable. Puis elle remonta la rue, à la recherche d'éventuels survivants. La mort dans l'âme, elle amorçait l'évacuation de la cité.
Comment la situation avait-elle pu lui échapper aussi vite ? Elle était parvenue à monter quelques embuscades, avec une jolie réussite à la clef, mais à quoi bon ? Ils portaient des armures, et eux... rien !
Elle butta sur une pierre et tomba de tout son long. Le nez dans la poussière, elle toussa et réprima ses larmes de frustration. Une douleur brûlante s'ajouta à ses crampes et à la lassitude. Bon sang, il ne manquait plus que cela ! Ses avant-bras et ses paumes éraflés présentaient déjà des gouttes vermeilles. Ses genoux ne devaient guère se trouver dans un meilleur état ! Cléon se releva et se figea. Une femme gisait, dans un piteux état.
— Samida ! s'écria-t-elle. Samida, réponds-moi !
La notaire battit des paupières. Un morceau de bois traversait son ventre.
— Cléon, souffla-t-elle, reste pas là, sauve-toi !
— Je suis désolée... J'ai pas pu... Je pouvais pas...
— Tais-toi et écoute-moi. Personne n'aurait pu savoir pour cette chose. Ce n'est pas ta faute. Port Lumis est perdu, sauve-toi pendant que tu le peux encore.
Cléon appela de l'aide. Mais dans les cris, les cliquetis des armes et le crépitement du feu, sa voix paraissait insignifiante.
— Je vais mourir, Cléon. Mes enfants sont en sécurité, c'est tout ce qui compte. Va t'en, toi aussi. Ton père serait capable de venir dans le domaine de Mérénos m'étrangler de ses propres mains, s'il t'arrivait quoi que ce soit. Allez, va t'en !
— Non !
La jeune fille attrapa la main de la mourante et renouvela ses appels. En vain. Ou plutôt, un bruit de sabot se rapprocha, un cheval au galop. Cléon se pressa contre Samida, comme si elle pouvait la protéger de son frêle corps. Elle prépara son pistolet alchimique. Elle ne comptait même plus le nombre de fois qu'elle l'avait utilisé ce soir ! Ses capsules diminuaient tristement.
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Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du Feu
FantasíaDe l'autre côté de la voûte céleste Chantent les étoiles. Elles content une querelle millénaire qui oppose les dieux. Une fabuleuse épée, Ironie, est au centre de toutes les préoccupations, car son nom est synonyme de destruction. Pour retarder l'in...