Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du Feu

11 L'épée des contradictions (2/3)

     Au petit matin, ils rassemblèrent leurs affaires, enfin sèches, et montèrent à cheval. Étant une Walkyrie, Fédra pouvait parcourir des lieux à pied sans se fatiguer, aussi proposa-t-elle à la Lumissienne son cheval, mais Celtica refusa tout net. Pas question de la laisser monter sans plus d'expérience. Et, comme pour le contrarier, la guerrière décida de la prendre avec elle sur son destrier. Pas de doute, la Walkyrie l'avait d'ores et déjà adoptée...

     Ils suivirent en silence le Serpentaire qui choisissait toujours les meilleurs endroits où faire passer les trois animaux chargés en toute sécurité. Il ne se retournait jamais, ne leur parlait jamais. Celtica progressait entre Fédra et Vlad, qui surveillaient les environs, prêts à fondre sur le premier danger qui surgirait. Le prince plaçait en eux une confiance illimitée, mais il détestait les voir ainsi s'exposer pour lui. Il n'y aurait rien de pire que leur sacrifice.

     Celtica bâilla longuement, sa nuit avait été horrible. Il avait peu dormi, des centaines de questions l'avaient assailli sans lui offrir le moindre moment de répit. L'amertume avait donné un goût désagréable à son petit déjeuner et terni son humeur. Toutefois, retrouver ses vêtements, propres et secs fut un soulagement. Il adorait Vlad, mais sa chemise, beaucoup moins.

     Il observa la posture de Cléon, installée derrière Fédra. Elle allait visiblement mieux, même si sa température demeurait relativement élevée. Dos trop droit, membres rigides, elle se cramponnait à la guerrière comme si sa vie en dépendait. Elle aurait de terrible douleur lorsqu'ils s'arrêteraient. Celtica enviait un peu la Walkyrie... Il remarqua avec amusement que Rivalis insistait pour suivre au plus près le cheval brasien qui marchait devant eux, comme pour rejoindre la Lumissienne. Cette jolie complicité, qui existait entre eux depuis le début, les avait souvent tirés d'un mauvais pas.

      Derrière, Vlad fredonnait une chanson sur les moissons, que Sanra, son épouse, lui avait sans doute apprise. Maintenant qu'il y pensait, les paysans préparaient probablement les récoltes d'été, qui serviront à nourrir le pays pour l'hiver. L'année avait été particulièrement généreuse, le Brasier ne mourrait pas de faim. Par contre, Vlad n'avait pas le droit de travailler la terre, alors qu'il adorait le faire. Si quelqu'un le surprenait dans les champs ou dans les pâturages, il risquait de perdre son titre, et d'être destitué de sa noblesse. C'était cruel. Surtout que Vlad n'en faisait qu'à sa tête, et allait souvent parcourir son territoire, en « tenue de travail »...

      Celtica s'inquiétait pour lui. Il était incapable de se raisonner et préférait mieux retourner le sol que les entrailles de ses ennemis. Bien qu'il le soutienne, il ne pouvait cacher sa crainte de le voir écarté de la cour à cause d'un malheureux coup de faux dans les blés ! Sanra, d'origine paysanne, devenue noble par mariage, pouvait continuer ses activités agricoles, mais ne pouvait plus rien vendre elle-même. Elle fournissait en revanche la cour en confitures et miels, ce qui contrariait Telnim Demjak, qui avait lancé sa famille dans une bataille bon-enfant pour la suprématie de leurs produits à la table de l'empereur.

      Les révélations de Sabik revinrent rapidement le tourmenter. Cela n'avait aucun sens. Et il était fort peu probable que son père lui ait caché de telles vérités, quoi qu'elle puisse impliquer. Le Serpentaire avait invoqué la Fin des Temps, mais comment une épée inoffensive pourrait troubler à ce point le panthéon entier ? Maintenant qu'il se sentait plus calme, il essayait de comprendre pourquoi ce Chant le mettait autant mal à l'aise. Il y avait quelque chose dans ces mots, une sorte d'essence qui lui échappait, comme une volonté au-delà de toute compréhension. N'était-ce déjà pas le cas des dieux ? Non, il se trompait. C'était quelque chose qui dépassait les dieux eux-mêmes. Était-ce la cristallisation de leurs plus grandes peurs ?