Mille cent vingt-deux morts. Deux milles sept-cent trente-six blessés. Un tiers de la cité détruit. Dix-mille vies brisées. Déambuler en plein jour parmi ces fantômes noircis le faisait frissonner. En pleine nuit, l'impression n'avait pas été la même. Celtica marchait en silence, Cléon tout près de lui. Elle se cramponnait, nerveuse, à la manche ample de sa tunique Nâémoise, qui par un extraordinaire hasard, demeurait intacte. Tout autour d'eux, les Lumissiens hébétés convergeaient dans la même direction. Certains évitaient de jeter un regard aux bâtiments sacrifiés, d'autres ne pouvaient en détacher les yeux.
Le ciel gris déversait sur le monde un rideau de larmes, fines et continues, qui transperçaient leurs vêtements. Le vent courait dans les rues, le froid dans son sillage. L'automne touchait à sa fin, et il mettait un point d'honneur à le rappeler. Les odeurs de sang, lavées par la pluie, faisaient place à celle de brûlé, qui refusait de s'estomper.
Au souffle court de son amie, le prince comprit qu'elle s'évertuait à retenir ses larmes. Maintenant qu'ils contemplaient le désastre, tout devenait réel. Tangible. Cruel. Tous ces gens avaient perdu en une seule nuit leur havre de paix. La place forte de leurs idéaux. Amputée de son tiers, la cité devait à présent panser ses plaies. Comment procéderaient tous ces esprits malmenés, tourmentés ? La mort s'était abattue ainsi, soudaine, impitoyable, invincible. Celtica ne se souvenait plus de cette arme monstrueuse, mais seulement de ce torrent de feu bleu et violet. Les flammes, la cendre, la pluie. Voilà pour ses souvenirs ! Et au milieu d'eux dansait Eickœs.
Eickœs... Comment avait-il pu se retourner contre Port Lumis, sa cité ? Sa sœur y vivait ! Le prince ne pouvait pas croire une seule seconde qu'il s'était résolu à la sacrifier. Beaucoup de sang avait coulé cette nuit, mais cette rivière ne prenait pas sa source auprès de l'armée arcane. Il avait été trop peu nombreux. Non, le véritable carnage s'était trouvé quelque part dans le ciel. Au-delà du feu et des nuages.
Cléon se rapprocha encore de lui. Elle ne le regardait pas, préférait graver dans sa mémoire les pauvres ruines de sa cité tant aimée. Plus personne n'y serait en sécurité. Plus personne ne pourrait penser une seule seconde y vivre en sûreté. Si Hayne se trouvait derrière cette attaque, il viendrait bientôt réclamer son dû. Ses prétentions défiaient l'imagination, son ambition se jouait des limites. Et qu'est-ce que pouvait bien être un bain de sang pour un homme comme lui ?
Celtica ne voyait qu'une façon d'y remédier.
Les deux amis se heurtèrent à un mur humain en arrivant sur la Place des Libres. Tous les Lumissiens valides s'y rassemblaient, serrés les uns contre les autres. Soudain, Cléon attrapa sa main et le força à la regarder.
— Reste près de moi, je t'en prie. C'est mon frère le responsable de cette pagaille, c'est à moi d'en répondre.
— Je reste. Je suis tout près de toi.
— Alors suis-moi !
Elle l'entraîna sans attendre à travers la foule dense et compacte. Malgré sa petite taille, elle n'hésitait pas une seconde à pousser pour se frayer un chemin. Les rebelles étaient dans un tel état de stupéfaction qu'ils ne prêtaient guère attention à eux. Au centre de cette place bondée, sur l'estrade, se tenaient quatre personnes, une femme et trois hommes. Celtica ne reconnut pas leurs visages. Vêtus d'un gris sombre, la mine austère et les yeux rougis, ils reflétaient bien l'état d'esprit du port.
Cléon ne s'arrêta que lorsqu'elle atteignit la minuscule scène. Elle attira ensuite Celtica au plus près d'elle, comme si elle craignait qu'il ne disparaisse et l'abandonne. À nouveau.
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Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du Feu
FantasyDe l'autre côté de la voûte céleste Chantent les étoiles. Elles content une querelle millénaire qui oppose les dieux. Une fabuleuse épée, Ironie, est au centre de toutes les préoccupations, car son nom est synonyme de destruction. Pour retarder l'in...