23 La lettre (1/3)

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     Des hennissements transpercèrent ses ténèbres.

     Cléon se réveilla en sursaut. Dehors, s'élevait une cacophonie irréelle où se mêlaient voix humaines et... hennissements ! La jeune fille se frotta les yeux. Elle peinait à les ouvrir, ainsi gonflés. La nuit avait été le berceau de ses angoisses et de ses idées noires, un temple de larmes et de désespoir.

     Les chevaux se faisaient rares au port, elle s'étonnait donc de sa présence sous sa fenêtre. Mais rien ne justifiait un tel boucan ! Elle se leva et alla, mal-assurée, écarter les rideaux et ouvrir les volets.

     — Rivalis ! s'écria-t-elle.

     Le bel animal pie s'agitait, donnait du fil à retordre aux deux Lumissiens qui s'efforçait à le calmer. L'un d'eux leva la tête vers elle.

     — Tu le connais ?

     — Oui ! J'arrive !

     Sans perdre un instant, elle enfila des chaussures, dévala les escaliers et déboula dans la rue. Elle ne se préoccupait pas de ne porter qu'une robe de nuit. Elle avisa avec horreur une longue estafilade sur l'épaule de l'animal, des griffures sur le nez et le chanfrein. Il n'osait plus poser son sabot avant droit. Dès qu'il la sentit, il dressa les oreilles et se tourna vers elle, puis gazouilla. Si les hommes n'avaient pas été là, elle aurait sans doute été renversée par son enthousiasme.

     Rivalis renifla longuement ses cheveux, avide de caresses.

     — Il est blessé, fait attention qu'il te morde pas, l'avertit l'un d'eux.

     — Rivalis ? Il a jamais mordu personne, répondit-elle. Il m'a sauvé la vie... Qui peut s'occuper de lui ?

     Ils se regardèrent un instant, puis ils convinrent que le mieux était encore de le confier aux écuries, à l'entrée de la cité. Mais le cheval refusait de quitter la jeune fille. Malgré tous leurs efforts pour les séparer.

     — Il a l'air en état de choc, fit Falmin, qui marchait dans leur direction.

     — Tu t'y connais, en canassons ? s'étonna l'un des hommes.

     L'aubergiste déposa son panier au sol et jeta sa cigarette.

     — Mes vieux ont une ferme, j'aime les chevaux. Allez donc chercher Kwen et Teana !

     — Pourquoi Kwen ? s'étonna l'un d'eux.

     Falmin haussa les épaules, comme si les choses allaient d'elles-mêmes.

     — Bah, c'est un médecin, alors...

     Les deux hommes soupirèrent de dépit et choisirent de confier l'animal à l'aubergiste. Celui-ci tenta de faire sentir sa main à Rivalis, mais le cheval n'avait d'yeux que pour Cléon. Ses sollicitations firent sourire la jeune fille et la détournèrent de sa mélancolie . Elle le caressa et déplora le triste état de son pelage. Sa crinière, d'ordinaire si souple, si douce, se parait de débris végétaux, de boue et même de sang. Par quelles terribles épreuves était-il passé ? Il paraissait à bout de force, sur le point de s'écrouler de fatigue. Le pauvre... Il ne méritait pas ça !

     Cléon sentit sous ses doigts des croûtes de sang séché et quelques bosses. Elle en eut le cœur serré. C'était si... révoltant! Une petite voix lui soufflait que ces blessures n'étaient pas l'œuvre d'un autre animal. La colère montait en elle, le désir irrépressible de punir ses tortionnaires lui tordait l'estomac. Si elle les retrouvait...

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant