38 Nar'y (3/3)

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     D'un air absent, Annya chiffonna le billet et le jeta au feu. Contrairement à sa promesse, Leina n'avait pas réussi à récupérer sa nièce. Le danger était incommensurable. Dans l'âtre, le papier disparut. Il n'avait jamais existé. Pas plus que les mots contrariants qu'il portait. Pourtant, leur simple destruction ne modifiait en rien la réalité. Un serpent froid se lovait en elle, plantait ses crocs suintant de venin dans son cœur. La peur ? La jalousie ? Il lui semblait que tout lui échappait.

     Par tous les dieux ! Elle aurait dû envoyer Zavijava faire ce travail ! La démone le lui avait proposé, mais fière comme elle l'était, la princesse avait refusé. Elle s'était crue renarde alors qu'elle n'était que brebis ! Port Lumis avait été dévasté, mais à quoi bon ? Cette sotte avait échappé aux flammes et à un mariage. Non seulement elle vivait, mais en plus elle demeurait libre !

     Annya s'essuya le front, ferma les yeux. Estalis était froide, elle avait pris mal malgré les épaisses fourrures qu'elle portait presque continuellement. Et cette mauvaise nouvelle n'arrangeait pas son état !

      — Ma Dame, osa une toute petite souris, votre médicament...

     La princesse se détourna du feu et avisa sa petite esclave. Ses joues rouges et ses lèvres gercées donnait une bonne idée de la température maîtresse des lieux. Les Brasiens aimaient-ils à ce point le froid ? Elle rejeta derrière son épaule ses cheveux, une fois n'est pas coutume, détachés. Aujourd'hui, elle n'escomptait voir personne. Inutile de s'apprêter en conséquence, donc.

     — Pose-le sur le guéridon.

     Bôfang obéit avec une promptitude qui forçait l'admiration. Pourtant, ses petites mains tremblotantes viraient au bleu. À vrai dire, la robe qu'elle portait n'était pas adaptée aux rigueurs de l'hiver. À Nar'y, elle était amplement suffisante, les cheminées chauffaient le château, les fenêtres se paraient de lourds rideaux de velours, les couloirs de pierre se décoraient d'épaisses tapisseries. Mais ici, les fenêtres s'ornaient de voiles légers, un tapis doux, fin s'offrait aux visiteurs, une cheminée ou un poêle à magilithes reposait dans chaque chambre, voilà pour la chaleur !

     Les Estalisiens, nobles comme serviteurs, se mouvaient dans cette fraîcheur avec une aisance étonnante. Glacés des pieds à la tête, ils continuaient à courir les bals et les salons, à déambuler sans but dans les jardins infinis et même, elle les avait vus, se baigner les pieds à la fontaine qui n'était pas encore tout à fait gelée !

     Pieds nus, Annya retrouva la tiédeur du tapis et se recroquevilla sur le divan. Si l'on pouvait critiquer les Brasiens sur bien des plans, on ne pouvait, avec toute honnêteté, contester l'avantage des robes impériales ! Fluides, légères et fines, elles s'adaptaient merveilleusement bien au corps féminin et offraient bien plus de liberté de mouvement que les épaisses robes à armature dont on torturait toutes les femmes bien nées.

     Toujours à devancer les désirs informulés de sa maîtresse, la petite esclave la recouvrit d'une couverture bienvenue. Puis elle recula de quelques pas, les mains sagement réunies devant elle, la tête baissée, tel qu'on le lui avait appris. Elle ne ressemblait pas à une servante, mais ses efforts l'y entraînaient petit à petit.

     — Bôfang, prends-en une pour toi et vient te réchauffer. Tu as bien travaillé.

     Les yeux bridés de la petite esclave scintillèrent de plaisir, elle se hâta d'obéir. Elle prit place timidement à l'autre bout du divan, comme si elle craignait que ce petit bonus ne soit en vérité un vilain tour. Annya s'empara de son breuvage, que les vieilles dames appelaient médicament, et respira son odeur relevée. Un bouillon de légumes, rehaussé de quelques épices bien choisies. Le maître cuisinier de la cour impérial excellait dans l'art d'émoustiller le palais ! Encore une chose qu'elle ne regrettait pas. Jesd avait des goûts bien plus simples, plus communs. Plus tristes aussi. Fort heureusement, il n'avait pas transmis son appétence pour la sobriété culinaire à ses enfants ! D'ailleurs, Hayne ne partageait qu'en de très rares occasion la table paternelle, et ce depuis qu'il préférait les amants aux maîtresses.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant