42 Les plaines du septentrion (3/3)

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     Les lièvres cuits à point réchauffèrent leurs pauvres corps malmenés. Le riz l'accompagnait à la perfection. En un mot, un régal.

     — Pas de Walkyries à l'horizon, déclara Jàvöna, c'est plutôt encourageant. Toutefois, cela ne veut pas dire qu'elles ignorent où nous nous trouvons. Elles en sont très sûrement bien informées. Elles nous observent.

     — Plus que deux jours de marche, grommela Vlad. Et après trois nouveaux jours pour faire demi-tour.

     — Coxa nous protège, remarqua Celtica.

     — Aucun démon ne sera capable d'arrêter ces chasseuses d'hommes. Surtout si lui-même est un mâle...

     — Au fait, intervint Cléon, comment perdure l'espèce sans hommes ?

     — C'est très simple, répondit Fédra. Les Walkyries sont une espèce à part, nous sommes exclusivement féminines. Or, nous ne pouvons procréer entre nous. Alors, nous permettons à certains hommes de vivre au Néöfrä, selon nos règles. Une fois par an, en automne, nous organisons des jeux. Nous sélectionnons ainsi les hommes les plus valeureux et les meilleurs guerrières à travers différentes épreuves d'adresse, de vitesse et de force. Les jeux durent une quinzaine de jours, jusqu'à ce qu'il ne reste que cinq hommes et cinq femmes. Cinq couples en somme.

     » Chacun de ces couples doit se rendre dans l'un des rares villages du pays pour y concevoir un enfant. S'il y a grossesse, ils restent ensemble jusqu'à ce que le petit dépasse son premier anniversaire. Si c'est une fille, elle rejoint le clan de sa mère où toutes prendront en charge son éducation. Elle obtient le nom de son père. Si c'est un garçon, il reste avec son père, son éducation ne nous regarde plus. En revanche, il prend le nom de sa mère. Ainsi, chaque enfant connaît le nom de ses parents, cela nous évite les problèmes d'union entre demi-frères et demi-sœurs.

     » Les filles participent aux jeux dès l'apparition de leurs menstruations, qui donne lieu aux festivités de passage à l'âge adulte, mais elles n'ont encore jamais pu tenir tête à leurs aînées. Ces jeux sont l'unique instant où hommes et femmes se rencontrent de leur plein gré, je vous laisse imaginer les tensions qui en découlent.

     — Tu as déjà gagné un tournoi ? s'enquit Cléon.

     — Oh non, j'ai quitté le Néöfrä et ses coutumes à quinze ans.

     — Moi, par contre, j'en ai déjà remporté un, intervint Jàvöna. Un coup pour rien, mon mâle était stérile. Puis j'ai aussi quitté le Néöfrä, puisqu'il m'a déshonorée.

     — Une union non féconde n'a que deux issues : la mort de l'homme ou l'exil de la Walkyrie.

     — Je l'aimais bien, et au fond, il n'avait rien fait pour mériter la mort. Il ne le savait pas, le bougre !

     Cléon sentit Celtica se tendre un peu contre elle. Elle aurait aimé lui prendre la main, mais ces maudits gants interdisaient tout contact ! Se projetait-il à la place de ces malheureux ?

     — J'avais eu vent de Fédra, qui avait rejoint le Brasier, et je me suis dit que l'empire ne serait pas si mal. La duchesse Yékatérina de Blancherive est une grande dame, alors je lui ai proposé mes services. J'ai rencontré là-bas Nasha, et nous sommes devenues inséparables.

     — Par inséparables, vous voulez dire... s'empourpra Vlad.

     La mercenaire et la Walkyrie échangèrent un regard complice avant d'éclater de rire.

     — Entendez donc ce que vous voulez, répondit la Blacherivoise, cela ne me pose aucun problème.

     Telnim se leva et s'étira. Il tira son épée au clair puis la pointa sur Fédra, confiant. Aussitôt, la féline jeune femme bondit sur ses pieds et accepta le défi. Les encouragements fusèrent de part et d'autre, des paris furent lancés. Celtica embrassa Cléon, s'allongea et s'emmitoufla dans une lourde couverture, sans un mot. Une certaine amertume hantait toujours ses gestes, malgré tous ses efforts pour la contenir. Il plongea dans un sommeil réparateur et mérité.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant