04 Baie-des-sires (1/3)

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     D'un geste plein d'assurance, elle ouvrit la massive double-porte. Dans la pièce, Aljinan, Shiraad et Soh Yuun comptaient le butin récupéré la veille au soir. Leur tâche solennelle accaparait tant leur attention qu'ils ne la virent ni ne l'entendirent entrer. Cléon se racla la gorge et s'attira enfin tous les regards. Son père eut un large sourire triomphal.

     — T'as vu, ma puce ? Papa a bien travaillé, hein ? T'étais chez Kwen ou à l'auberge, hier soir ?

     — J'ai passé la nuit chez Kwen... J'ai... J'y ai emmené un ami qui était blessé.

     — Un ami ?

     Le sourire d'Aljinan disparut pour laisser place à une mine suspicieuse. Dès qu'il était question de garçons, il devenait intrusif. Même si elle comprenait parfaitement pourquoi, et que dans un sens, elle aurait exactement les mêmes inquiétudes si elle était à sa place, elle ne pouvait que pleurer cette liberté qui lui faisait tant défaut.

     — Et qui c'est, ce type ?

     — Celtica Illis de Noblargent, avoua-t-elle de but en blanc.

     Le chef de Port Lumis se leva, doucement. Étrangement calme. Cléon serra les poings et pinça les lèvres, prête à affronter des tempêtes. Et celle-ci se mit à souffler très fort. Devenu rouge comme une pivoine, du sommet de son crâne chauve jusqu'au bout de ses doigts, Aljinan ressemblait à un volcan sur le point d'exploser.

     — Je t'avais dit de rester au port ! rugit-il.

     Soh Yuun et Shiraad, impassibles, continuaient à compter leur prise comme si de rien n'était. Bien qu'impressionnantes, les colères du chef ne duraient pas... en principe.

     — Est-ce que tu t'rends compte ? Il suffirait d'un coup, d'un seul !

     — Et si j'avais pas été là, le prince serait mort à l'heure actuelle, et le Brasier aurait rasé le port !

     — C'était pas une raison pour t'exposer ! Bon sang, Cléon, qu'est-ce que t'as dans l'crâne ? T'imagines pas une seule seconde c'qui aurait pu t'arriver !

     Cléon croisa les bras et se campa fermement sur ses jambes. Elle sentait ses joues s'échauffer, les larmes lui monter aux yeux, mais elle voulait tenir bon. Son père était injuste. Elle les avait tous sauvés !

     Shiraad tendit la main vers une carafe d'eau, remplit quatre coupes, et les distribua sans émettre de commentaires. Aljinan se saisit machinalement de la sienne et la vida d'un trait avant de la reposer brutalement.

     — Je m'plie en quatre pour ton frère et toi, et vous outrepassez mes consignes, comment veux-tu que j'vous fasse confiance ?

     — D'autres étaient au château, ils ont essayé de tuer le Brasien. Et ils ont enlevé Eickœs.

     — Quoi ? explosa Aljinan.

     Désormais comme un lion en cage, il commença à faire les cents pas.

     — Qui ?

     — J'sais pas, moi ! J'les avais jamais vus avant...

     Aljinan jura.

     — Sa petite majesté est chez Kwen, tu dis ?

     Cléon acquiesça, soulagée qu'il s'intéresse à un tout autre sujet que sa petite mutinerie. Le chef imberbe jeta un œil sur ses étagères, se mit à éplucher frénétiquement ses documents.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant