Les réparations allaient de bon train. Les rues déblayées livraient enfin la véritable couleur de leurs pavés. Les fantômes des bâtiments calcinés, éventrés, décapités avaient été chassés. Les débris traversaient la ville, flot intarissable, jusqu'à une carrière à l'est où ils seraient traités d'une manière ou d'une autre. Une partie des pierres irrécupérables serait pilée et rejoindrait les cours du royaume. Douce ironie du sort !
Quelques maisons sortaient déjà de terre, avec l'aide précieuse des rares Sorciers. Et d'un Ancien ! Ils rendaient la tâche plus facile grâce à leurs pouvoirs et à leurs potions. Le tambourinement des marteaux et le ronronnement des scies emplissaient les espaces de la ville, soutenaient des conversations enjouées, émaillées d'éclat de rire ou de voix.
Personne ne dormait dans les rues déblayées. La famille, les voisins, les amis hébergeaient les malheureux qui avaient perdu leur logement. La bonne humeur et la spontanéité régnaient sur les offres d'hospitalité, mais il éclatait de temps en temps des querelles dues à la soudaine promiscuité. Les uns et les autres voyaient parfois leur foyer doubler, voire tripler, non sans houle. Il n'était pas toujours évident de composer avec les habitudes de chacun, et l'équilibre tardait parfois à se trouver.
Les défunts avaient été conduits dans le temple de Mérénos le plus proche, afin d'y être présentés au dieu de la mort et y être incinérés. Puis les cendres et des plaques en leurs mémoires rejoignirent le port où la crypte sous la cité les accueillait. Il s'agissait d'une immense cavité ronde, creusée profondément dans le sol, autour d'un double escalier en colimaçon. Des lanternes à magilithe éclairaient les lieux d'une lumière feutrée, propice au recueillement. Une légère odeur d'encens flottait dans l'air, plus dense près des brûleurs ronds accrochés aux murs de pierre. Elle chassait l'âpreté de l'humidité et réconfortait les vivants.
Des plaques tapissaient les murs. Des noms, des dates, des épitaphes hantaient ce haut lieu du repos, comme des spectres attentifs et silencieux. Les cendres, renfermées dans des boîtes en bois laqué, s'inséraient derrière les plaques. Cléon installa la dernière dans son emplacement, se releva et s'étira, percluse de douleurs.
— C'est fait ! lâcha-t-elle non sans un certain soulagement.
Celtica observa le mur. Toutes ces plaques de marbre, blanches, grises ou noires lui faisaient froid dans le dos. De nombreux défunts l'observaient depuis le domaine de Mérénos. Le jugeaient-ils ? Le tenaient-ils pour responsable de la calamité qui s'était abattu sur la cité ? Approuvaient-ils sa présence en ces lieux ? Cléon posa une main dans son dos et il sursauta.
— Tout va bien ?
— Oui... Je me disais juste que toutes ces vies gâchées... C'est de la folie.
— Un vrai cauchemar. Mais on a évité le pire.
Celtica sourit tristement. Les dégâts ne laissaient pourtant pas supposer une telle chance. Cléon avait été très efficace, et les Lumissiens s'en souvenaient. C'était auprès d'elle qu'ils venaient chercher leurs directives. Elle coordonnait, sous la supervision de Shiraad, les travaux et la distribution de vivres et d'eau. Ceux-là aussi avaient échappé de peu à la destruction. Les rebelles recherchaient-ils en elle la figure autoritaire d'Aljinan ? Ou bien avaient-ils été impressionnés par son sens de l'initiative ? Dans tous les cas, la petite cuisine dans laquelle elle recevait ses visiteurs ne désemplissait plus. Une grande partie d'entre eux lui avait confié la tâche de venir déposer les plaques funéraires ici.
La jeune fille chassa de son front une mèche de cheveux et la sueur. Elle croulait sous le travail : entre les charges du port et le voyage qu'ils préparaient, elle ne disposait plus d'une minute à elle ! Fort heureusement, la fièvre la laissait tranquille depuis quelques jours.
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Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du Feu
FantasyDe l'autre côté de la voûte céleste Chantent les étoiles. Elles content une querelle millénaire qui oppose les dieux. Une fabuleuse épée, Ironie, est au centre de toutes les préoccupations, car son nom est synonyme de destruction. Pour retarder l'in...