Dans les larges couloirs du palais d'Estalis, Bôfang trottinait sans prêter attention aux courtisans qui chuchotaient sur son passage. Elle restait focalisée sur la robe qu'elle portait, car, en tant qu'esclave, elle n'avait jamais revêtu de jupes aussi longues. Ici, on lui avait dit que ce serait différent du château de Nar'y, que la cour y restait aussi longtemps qu'elle le désirait, que personne ne devait comprendre qu'elle était une esclave. On lui avait longuement expliqué que sa maîtresse serait en danger, si cela venait à se savoir. Et elle ne voulait, sous aucun prétexte, lui causer du tort !
Au Brasier, les servantes portaient des robes simples aux couleurs pâles, mais longues, dont le bas se faufilait entre les jambes et menaçait de les faire chuter à la moindre inattention. Ce qui lui paraissait au début n'être qu'une contrainte, se révéla bientôt un vêtement qu'elle appréciait. À côté des vieilles guenilles dont on l'affublait ordinairement, cette tenue lui donnait presque des airs de noblesse. Elle se sentait humaine. Et c'était mal. Parce qu'elle était juste une esclave.
Ses débuts en tant que servante, bien qu'elle fût depuis toujours la suivante de la princesse Annya d'Arcane, avaient été difficiles. Ici, les serviteurs bavardaient et bravaient avec une effronterie affichée les ordres de leurs maîtres, sans toutefois risquer le fouet. Certains se moquaient sans vergogne de la noblesse, et jamais ils n'étaient punis ! Elle avait aussi vu des servantes repousser les avances de nobles éméchés, sans en être inquiété. À Nar'y, c'était chose impossible. Bôfang avait beaucoup de chance, sa maîtresse la protégeait de ces dangers qu'elle aurait difficilement fui autrement.
Les bras chargés de linge, elle se trottinait vers les appartements de la princesse. Elle était depuis plusieurs jours de fort mauvaise humeur. Depuis leur arrivée, en réalité. Une dame de la cour avait pris à partie sa maîtresse, mais comme son brasien était encore trop mauvais, elle n'avait pas compris un mot. Il avait été apparemment question de son mariage avec le beau prince Celtica, mais elle avait tout gardé pour elle. La future impératrice parlait peu, et elle ne parlait jamais de ce qui se passait dans son cœur ou dans sa tête.
Bôfang s'arrêta pour reprendre son souffle devant une des fenêtres qui donnaient sur le majestueux jardin impérial. C'était un très bel endroit, très coloré et calme. Et avec l'approche de l'automne, les feuilles des arbres muaient du vert au brun, passant par toute une palette de rouges et de jaunes chatoyants. C'était magnifique. Ce serait un cadre parfait pour le mariage de sa maîtresse !
Des pas résonnèrent, elle s'écarta de ses rêveries et se remit à trottiner. La princesse avait besoin de ses toilettes, et il ne fallait pas la faire attendre !
Elle atteignit rapidement la porte des appartements de la dame, et les franchit prestement, sans attendre de s'y faire inviter. Sa maîtresse détestait qu'elle se montre timorée, alors qu'elle avait reçu ses ordres. Alors qu'elle avançait dans l'antichambre, une voix effrayante lui parvint. Elle la reconnaissait, cette voix, et l'entendre ne pouvait signifier qu'une chose : c'était une affaire d'une importance capitale. Elle entra enfin dans le petit salon où la maîtresse des lieux accueillait ses prestigieux invités.
La princesse se tenait de dos, dans une longue robe vert jade, surmonté d'une veste d'un vert plus soutenu et brodé de petites feuilles, serrées à la taille par une large ceinture de soie noir. C'était Bôfang qui lui avait brodé la veste. C'était un grand honneur que de toucher une étoffe aussi fine, et surtout destinée à épouser les courbes de son royal corps. C'était beaucoup trop pour une simple esclave, elle avait passé des journées et de longues nuits blanches à y travailler, tout en subissant la jalousie de certaines servantes qui lui avaient mené la vie dure. Mais le résultat compensait largement tous ces désagréments. Elle avait créé un chef d'œuvre ! Non ! Elle ne devait pas le croire, elle n'était qu'une esclave ! Elle n'avait pas le droit de créer d'œuvre. C'était interdit.
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Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du Feu
FantasiDe l'autre côté de la voûte céleste Chantent les étoiles. Elles content une querelle millénaire qui oppose les dieux. Une fabuleuse épée, Ironie, est au centre de toutes les préoccupations, car son nom est synonyme de destruction. Pour retarder l'in...