21 Arkh'rrèn Di'yendèr (1/3)

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     Le Chaos se posa en douceur sur une falaise qui surplombait une mer placide. Tout engourdi, les yeux gonflés de sommeil, Celtica posa pied à terre. Les vagues se jetaient mollement sur la côte, il faisait chaud et humide. Déjà sa chemise collait à sa peau. Il se retroussa les manches et se tourna pour faire face à une forêt dense, peuplée d'arbres énormes, comme il n'en avait encore jamais vus.

     Le voyage avait été rude. Les banquettes dures avaient rendu tout sommeil impossible à trouver, et avec les roulis de l'appareil, Celtica n'avait fait qu'osciller entre l'inconscience et la veille, sans jamais vraiment réussir à s'endormir. Le soleil lui blessait cruellement les yeux, qu'il plissait de mauvaise grâce.

     — Bienvenue à Térrà Nâèm ! lança Aljinan, joyeux. Ah ! comme cette odeur m'a manqué !

     Alors qu'il gonflait bruyamment sa poitrine pour appuyer ses propos, Celtica le gratifia d'un regard noir. Comment pouvait-il être de si bonne humeur après un voyage aussi inconfortable ? La fâcheuse impression qu'il le narguait s'immisçait peu à peu en lui. Aljinan paraissait aussi frais et dispos qu'après une bonne nuit de sommeil ! C'était rageant, d'autant plus qu'il ne s'était accordé aucun moment de repos, en plus de dix heures de voyage ! Celtica l'enviait ardemment.

     — Respire-moi donc cet air ! Des senteurs comme ça, y'en a pas sur le continent !

     — Ce n'est pas pour respirer que tu m'as emmené ici, répondit-il avec humeur.

     L'imberbe lui donna une grande claque dans le dos. Le prince fut poussé de quelque pas en avant.

     — Haut les cœurs ! J'te garantis qu'tu s'ras pas déçu !

     Celtica en doutait, mais garda ses réflexions pour lui. Il réprima un bâillement et suivit le Lumissien qui s'enfonçait déjà dans l'épaisse forêt, d'un pas cadencé. Chaque foulée se révélait plus pénible que la précédente, il n'eut même pas la force de soulever son sac pour l'accrocher à son épaule. Il le traînait donc par terre, complètement insensible à l'éventualité de l'abîmer. Il souhaitait juste trouver un coin où se rouler en boule et dormir !

     Il circulait entre les arbres une sorte de brume légère, très peu visible mais palpable. Celtica pouvait la saisir sous ses doigts, la presser. Elle se comportait comme l'eau : elle s'écoulait entre ses doigts pour se mêler à la masse informe et fraîche qui les entourait. Elle hérissait ses poils, brûlait ses poumons. Et pourtant, elle n'était pas déplaisante.

     Sa fatigue s'estompait, une énergie nouvelle affluait dans ses veines. Vive, vivante. Celtica observa le monde d'un œil neuf. Ses sens semblaient s'aiguiser de seconde en seconde jusqu'à atteindre un point inédit. Les couleurs lui semblaient plus distinctes, les sons plus précis. Il percevait des odeurs jusque-là ignorées. Ni agréable, ni nauséabondes, elles étaient juste là.

     — C'est normal, elle t'expliquera, répondit Aljinan à ses interrogations silencieuses.

     — Cette brume...

     — De la magie. Du concentré de magie, précisément. Térrà Nâèm est unique dans le monde, on peut voir ce phénomène qu'ici. Les Nâèmois sont tous des Sorciers, et c'est aussi au sein de ce peuple qu'on trouve le plus d'Anciens.

     — Nous allons rencontrer des Anciens ?

     — Oh oui, et crois moi, tu en auras assez vu pour toute une vie !

     Des Anciens... Celtica n'en avait jamais rencontrés, même s'il savait qu'il en vivait quelques uns au Brasier. De nombreuses légendes les entouraient, et il lui tardait de vérifier leur véracité. Dans l'imagerie populaire, ils formaient un peu le pendant de l'Ordre Zodiacal ; les Anciens étaient des créatures discrètes, plutôt considérée comme bienveillantes, et les démons... Ceux-là étaient tout simplement le mal à l'état pur.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant