45 Tuer l'enfant, accueillir l'adulte (1/3)

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     Une pluie d'étoiles attira l'attention d'Exodica. Seul dans ses appartements, il observait la nuit profonde, où les nuages ne flottaient plus. Sa chemise de nuit ne le préservait pas du froid hivernal, mais qu'importe. Il ouvrit sa porte-fenêtre et s'aventura sur le balcon.

     Un grondement lointain ébranlait la quiétude sauvage. Le vent et la rivière s'amusaient dans la vallée, où les échos se pourchassaient sans retenue. Exodica n'avait jamais cru la nuit sage. Lorsque le genre homo s'assoupissait, d'autres vies, plus petites, plus discrètes, s'emparaient des ombres. Dans les bois qu'entretenait l'empereur, les loups s'éveillaient, enchevêtraient leur voix dans un chant antique. Matière première de mille légendes, il pénétrait le vieil homme et coulaient dans ses veines. Il fermait les yeux et adressa une prière à Mérénos. Le piège divin se refermait sur lui, il ne tarderait plus à payer pour ses mensonges. Ces loups semblaient le saluer et le pleurer à la fois.

     La mélancolie qui découlait de leur chœur réveillait sa propre impuissance. Sa propre arrogance. Jouer avec les dieux n'avait jamais été une bonne idée, mais avait-il vraiment eu le choix ? Sa lignée était maudite, et cette malédiction se transmettait de génération en génération. Il marchait chaque jour au bord d'un précipice, un simple coup de vent l'en ferait choir. Les doigts glacés de Mérénos se refermaient peu à peu autour de sa gorge, son hiver touchait à son terme.

     — Mon frère ! Es-tu devenu fou ?

     Exodica se retourna, penaud. La plus âgée de ses sœurs, Rodie, se précipita vers lui et le tira à l'intérieur, au chaud. D'un geste ferme, elle referma la fenêtre et coupa le chant lupin.

     — Dehors, en plein hiver, en chemise ! grondait-elle.

     — Je vais bien.

     Exodica remarqua alors les frissons qui secouaient son corps épuisé. Le froid n'avait pas été sa première préoccupation. L'archiduchesse déposa sur ses vieilles épaules un châle qui avait appartenu à la regrettée Yéline. La laine fine conservait encore son odeur, semblait-il. Ivre de douleur, il l'avait donné à laver encore et encore, mais les lavandières avaient été bien en peine d'éliminer ce parfum fleuri de lilas. Désormais, il le chérissait comme le plus précieux des souvenirs.

     Rodie l'installa dans son fauteuil, raviva le feu et prit place près de lui.

     — J'ai apporté le thé que tu as demandé. Tu as de la chance, j'ai failli être retenue ! Tu aurais pu mourir de froid ! Depuis que Risha s'est absenté, tu sembles quelque peu perturbé.

     Exodica sourit et avisa le plateau posé sur le guéridon, ainsi que deux livres. Il voulait profiter de la présence de sa sœur au palais pour partager un peu de temps avec elle, et quoi de mieux que de lire des poèmes ou une pièce ?

     — N'aie crainte. Je voulais écouter la nuit.

     Rodie fronça les sourcils. Sans ses bijoux et avec ses cheveux détachés, elle ressemblait à la petite fille qu'elle serait toujours pour lui.

     — Tu es vraiment étrange, ces temps-ci.

     — Les ans en sont la cause !

     À son regard, il sut qu'elle n'en croyait pas un mot. Elle tendit sa tasse à l'empereur et quelques biscuits à la cannelle.

     — Combien de temps comptes-tu garder Yréan ici ? Les réserves de vin et de nourriture fondent comme neige au soleil. Tes serviteurs tombent de fatigue et les courtisans fomentent des farces dignes des plus oisifs garnements !

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant